À Dakar, les arbres continuent de tomber sous les assauts destructeurs des chantiers de maisons ou d’infrastructures. Aux Almadies, la valorisation immobilière prime sur la végétation. Une option qui menace la santé des Dakarois, mais aussi leur environnement. La qualité de vie s’en retrouve dégradée.
Les arbres tombent au rythme des chantiers. Aux Almadies, quartier chic de Dakar, logé dans la commune de Ngor, où les ambassades côtoient les résidences luxueuses, les jardins se font rares, car souvent sacrifiés pour agrandir les terrasses. Aux premières heures de ce jeudi 17 juillet 2025, le soleil pose ses rayons corrosifs sur des rues suffoquées. Ici, les murs surélevés et les façades blanches renvoient une chaleur brûlante. Il est 10 h. Moustapha Seck, gardien dans une maison, est en sous-vêtement. Visage dégoulinant de sueur, le quadra essaie de se soustraire de la canicule qui l’accable depuis son réveil. « Aux Almadies, il n’y a que des immeubles. Presque tout le monde a la climatisation dans les chambres. Mais il suffit de sortir pour étouffer. Il fait extrêmement chaud dans ce quartier et presque personne n’a aménagé d’espaces verts », déplore le vigile qui s’est débarrassé de son uniforme.
L’aménagement d’espaces verts dans les immeubles, aussi bien à intérieur qu’à extérieur, offre de nombreux avantages, allant de l’amélioration de la qualité de vie à la valorisation immobilière. Pourtant, dans cet endroit de nantis, les dunes de sable débarrassées des herbes laissent apparaître leurs secrets : œuvres de géomètres, topographes et maçons. Vergers parcellisés, bornes érodées, fondations, murs de clôture… Le vert s’efface dans le silence : pas de jardins potagers partagés ni d’aménagements végétalisés qui contribuent à un environnement plus agréable et sain. Fabricants de briques, maçons en pleine exécution de chantiers… tout y est. La moindre accélération d’un véhicule, telle une rafale, fait éclater l’asphalte de la piste latéritique. Les activités jouxtent le mur de clôture de l’aéroport militaire Léopold Sédar Senghor. « J’ai des chantiers ici depuis 10 ans, mais les propriétaires de maisons ne prévoient jamais d’espaces verts dans les maisons.
On fait de gros salons, des chambres huppées, mais des endroits qui participent à respirer mieux, non, jamais », s’émeut Ousmane Diouf, maçon en pleine activité. Pression foncière Le quartier, autrefois prisé pour son équilibre entre urbanité et nature, a changé de décor. Désormais, il est presque impossible d’apercevoir un arbre, alors qu’un vent rend délicate la respiration. Boubacar Sonko, patriarche de 62 ans, habite aux Almadies depuis 26 ans. Cet ancien inspecteur du Trésor éjecte de ses souvenirs un fait marquant. « Il y avait des manguiers ici », se remémore-t-il, pointant son doigt vers l’horizon. « Mais avec la pression foncière, les Almadies ont perdu toute leur verdure. Le ciment et le béton ont affecté la qualité de vie des habitants », regrette M. Sonko, partagé entre nostalgie et amertume. À Ngor, la nature est en train de perdre son droit de cité. Elles sont encore timides, mais quelques voix s’élèvent pour tenter de redonner à Dame Nature sa splendeur. « De plus en plus, nous faisons des actions de reboisement.
Mais les populations n’ont pas encore la culture des espaces verts. On est content de construire son immeuble, mais les dégâts que cela peut causer en termes de qualité de vie, les gens n’en sont pas conscients », affirme Maïmouna Cheikh Samb, militante écologiste et membre du mouvement « Ngor Debout ». Le cas des Almadies pose le problème de la malurbanisation de la capitale sénégalaise. De Ngor à Yoff, en passant par la Médina, les Parcelles assainies ou Grand Yoff, peu de gens prévoient des espaces aménagés. La presqu’île, le changement climatique aidant, n’est donc pas à l’abri des vagues de chaleur.
Des spécialistes évoquent des impacts très graves
La destruction de la nature pour la construction de bâtiments a des conséquences environnementales et sanitaires. C’est l’alerte du socioaménagiste Sidy Sall. D’après ce professionnel, qui travaille à l’interface entre la sociologie et l’aménagement du territoire, une telle situation favorise les effets du changement climatique. « Les arbres jouent un rôle d’équilibre pour la récupération de la poussière dans les espaces verts ou les espaces fleuris à l’extérieur des maisons, avec le phénomène de photosynthèse. Si tout cela n’existe pas, il y a des impacts négatifs sur la qualité de vie des personnes et sur l’amélioration même de la qualité de l’air », explique-t-il. Le socioaménagiste prévient que le tout béton est extrêmement grave pour la santé. « Quand on vit dans un endroit aménagé, cela pousse les gens à sortir et à marcher. Ça améliore énormément la santé et évite la sédentarisation.
C’est un point important en rapport avec la qualité de l’air. Cela permet aussi d’avoir une bonne qualité d’oxygène », souligne Sidy Sall. Pour l’architecte-urbaniste Mbacké Niang, il faut maximiser la qualité architecturale collective pour minimiser la quantité foncière individuelle. « L’arbre à palabre, en déjouant toute spéculation foncière, en minimisant son emprise au sol, déploie son feuillage et suspend ses fleurs et fruits. L’arborescence poreuse et filtrante serait la structure universelle pour planifier, bâtir et habiter durablement notre planète Terre », plaide M. Niang.
Babacar Guèye DIOP