Lors de la 81e commémoration du massacre de Thiaroye, le Pr Mamadou Diouf, président du Comité de commémoration, a délivré un discours d’une rare profondeur, profondément ancré dans la lucidité historique et l’exigence de vérité.
Devant les autorités, les familles, les militaires et les habitants de Thiaroye, il a insisté sur le fait que le travail mémoriel autour de la tragédie du 1er décembre 1944 n’est pas un simple rituel annuel, mais bien un combat intellectuel, politique et moral.
Dès l’entame, le Pr Diouf a rappelé que la Nation se trouve « réunie une fois de plus pour commémorer le massacre du 1er décembre 1944, une date désormais inscrite dans le calendrier républicain pour se souvenir, raconter et interroger mémoires et archives ». Une date dont la portée oblige, selon lui, à revisiter les zones d’ombre, les manipulations politiques et les mensonges qui ont tenté, durant des décennies, de neutraliser la vérité.
Le Livre blanc, une rupture politique majeure
Poursuivant son propos, le Pr Diouf s’est longuement arrêté sur le rôle du Livre blanc publié par le gouvernement lors de la commémoration du 80e anniversaire. À ses yeux, ce document constitue une étape décisive :
« Le Livre blanc marque une inflexion politique et une nouvelle forme d’appropriation africaine de l’événement. Il met à la disposition des Sénégalais, des Ouest-Africains et des Africains des archives longtemps restées dans l’ombre. » Selon Pr Diouf, cette publication ouvre ainsi « une séquence inédite » destinée à dresser un état des lieux complet des connaissances, tout en affrontant les silences persistants de l’histoire coloniale.
Dans le même élan, il a souligné l’importance des sondages archéologiques menés au cimetière de Thiaroye, estimant qu’ils constituent « le document matériel le plus visible et probablement le plus riche de la culture associée au massacre ».
Une mémoire longtemps cachée devenue pilier panafricain
Les résultats préliminaires de ces recherches, a-t-il expliqué, « sont porteurs d’espoir quant à la contribution que l’archéologie va apporter à la compréhension de l’événement ».
Avec une gravité assumée, l’historien est revenu sur les stratégies d’effacement qui ont longtemps entouré cette tragédie.
Il a rappelé que Thiaroye fut l’objet « d’une double manœuvre de dissimulation et de reconfiguration » : commis dans un contexte de victoire antifasciste, le massacre fut paradoxalement noyé dans un discours glorifiant la liberté, alors même qu’il relevait de la pure logique coloniale. Par la suite, les autorités coloniales puis l’État français ont « constamment entravé les initiatives visant à établir les faits, documenter les responsabilités et produire des récits crédibles ».
Insistant sur la portée continentale de cette mémoire, le Pr Diouf a affirmé que Thiaroye doit être reconnu comme un symbole africain majeur : « Thiaroye est devenu le noyau d’une vaste constellation mémorielle couvrant l’Afrique de l’Ouest et l’ensemble du continent. » Une mémoire, longtemps « cachée », qui nourrit aujourd’hui une conscience panafricaine fondée sur la souveraineté, l’unité et la dignité retrouvée.
Écrire nos histoires : un impératif pour l’avenir
Au cœur de son message, le Pr Diouf a appelé à une rupture définitive avec les récits imposés. « Écrire nos histoires, produire nos mémoires, les transmettre dans nos langues, voilà aujourd’hui un impératif catégorique », a-t-il insisté, plaidant en faveur d’une véritable renaissance des humanités africaines.
Il a également encouragé l’intégration des questions mémorielles dans un cadre régional et continental, afin de nourrir les politiques publiques, l’éducation et la recherche à l’échelle du continent.
Exiger justice et réparations
Par ailleurs, l’une des annonces fortes du discours porte sur la nécessité, désormais incontournable, de demander des comptes. Pour le Pr Diouf, il revient aux États africains « d’exiger des excuses officielles des empires coloniaux, dont la France, et d’ouvrir la voie à des réparations justes et équitables pour les familles des victimes ».
Cette position s’inscrit dans la dynamique portée par l’Union africaine à Alger, autour du thème : Justice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine grâce aux réparations.
Un hommage à celles et ceux qui portent la mémoire
Enfin, le Pr Diouf a clôturé son allocution par une série d’hommages appuyés aux chercheurs, universitaires, membres du comité, militaires et institutions impliqués dans la redécouverte de la vérité. Il a salué leur « énergie », leur « rigueur » et leur « engagement infatigable », indispensables à la poursuite de ce travail mémoriel.
Par Cheikh Gora DIOP


