Quand la polygamie est présentée par des femmes accomplies, voire des intellectuelles, comme une opportunité épanouissante, elle reste, pour d’autres, une source de souffrance indicible. L’exemple de la dame désespérée qui a ébouillanté, le week-end dernier, son mari parce qu’il a pris une seconde épouse alimente les conversations. Cette scène a choqué plus d’un dans notre pays. Elle met à nu des pratiques à effacer à l’heure où des femmes, qu’elles soient du monde rural ou urbain, visent la croissance individuelle.
Beaucoup de femmes ne veulent plus des violences verbales, physiques ou des conflits ouverts causés par la polygamie. Si la sacralité du mariage est préservée au Sénégal, aussi bien par les hommes que par les femmes, il est à noter que ces dernières redéfinissent de plus en plus leurs priorités. Elles ont compris qu’il n’est plus nécessaire de détruire leur vie ou celle d’une autre à cause d’un homme. Les spécialistes l’ont démontré : les hommes sont, en majorité, naturellement portés sur la volupté. La plupart sont esclaves de leur désir de séduire et de rester éternellement jeunes. Du coup, elles sont de plus en plus nombreuses à cultiver une indépendance émotionnelle et financière tout en préservant leur mariage. Qu’elles évoluent dans une union monogame ou polygame, elles s’arrangent pour assurer leur développement personnel.
Elles jouent à merveille leur rôle d’épouse, de mère et de travailleuse. N’empêche, elles trouvent plus utile de booster leur estime de soi que de se construire une valeur et une identité sous le regard masculin. D’ailleurs, des expériences ont prouvé à l’envi que des femmes dans un ménage monogame sont aussi aux prises avec le stress familial et le désenchantement. Mais, elles déploient les forces nécessaires pour assumer leur choix de rester dans leur ménage. Elles ne vivent plus uniquement pour l’homme. Elles préfèrent développer un état d’esprit axé sur la croissance. Elles visent de plus en plus une croissance personnelle, définie comme un moyen « d’améliorer sa vie en agissant sur la qualité de ses relations interpersonnelles, sa résilience, son envergure émotionnelle et la prise de décision en lien avec ses valeurs et ses priorités ». Elles ont adopté une posture de vie qui leur procure un sentiment de bien-être. Elles ont réussi à bâtir, au sein de leur foyer, des relations stables tout en choisissant de se prioriser pleinement. Comme d’autres, elles portent des cicatrices portant l’empreinte de l’homme, mais elles ont su se relever en partant d’un constat : en raison de leur nature d’éternel chasseur, l’homme a toujours cultivé un fort penchant pour la polygamie. Ainsi, c’est avec beaucoup de peine qu’elles se rendent compte de la rage de certaines face à la présence d’une coépouse.
Comme si celles-ci n’ont pas su marcher sur les traces de leurs mères ou grand-mères, qui acceptaient avec philosophie « l’autre femme du mari ». Il leur a fallu de la hauteur pour gérer le comportement dis criminatoire et le traitement inégal du mari. Des aînées n’ont pas accepté que la polygamie soit une source de problèmes de santé mentale, de manque de confiance, même s’il faut reconnaître que la colère, la solitude ou le choc émotionnel ont été au rendez-vous. Dans ses études, notamment son célèbre ouvrage « Mariage et divorce au Sénégal », la défunte Dr Fatou Bintou Dial, sociologue, explique comment des femmes qui dénonçaient la polygamie comme un moyen de domination de l’homme sur la femme ont trouvé leur compte dans cette option matrimoniale. Elles ont juste su faire preuve d’intelligence pour gérer le caractère insatiable de l’homme et s’offrir des possibilités de fonder, à nouveau, un foyer selon leurs convictions. La fondatrice du Laboratoire Genre et recherche scientifique de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan), la sociologue Fatou Sow Sarr, avait souligné, dans un article du journal français « Le Monde » qu’ « on est passé d’une génération de femmes instruites dans les années 1960-1970, farouchement opposées à la polygamie, à une génération qui l’assume, voire la revendique »…
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