Lors du Conseil des ministres du 19 novembre 2025, le Premier ministre, Ousmane Sonko, a dévoilé les grandes orientations du gouvernement en matière de politique mémorielle.
Parmi les projets annoncés figurent la construction d’une Maison des archives, l’érection d’un Mémorial à Thiaroye en l’honneur des tirailleurs sénégalais et la création de musées historiques des royautés traditionnelles. Mais c’est surtout le projet d’une Bibliothèque nationale, considérée comme un « outil de réappropriation de notre mémoire collective et réceptacle de notre patrimoine documentaire national », qui a retenu l’attention. De Senghor à Diomaye, en passant par Wade et Macky, la promesse d’ériger ce panthéon du savoir a été un leitmotiv politique, toujours annoncé, mais jamais réalisé. Ce qui rend les amoureux du livre et les milieux culturel et universitaire sceptiques. Mais pourquoi une Bibliothèque nationale est importante pour un pays comme le Sénégal ? Dans un plaidoyer aussi passionnant que passionné, le philosophe Djibril Samb explique que les bibliothèques sont essentielles pour le développement, parce qu’elles sont « à la fois une mémoire du passé et un témoignage du présent ».
En effet, toutes les sociétés qui se sont développées se sont appuyées sur les connaissances et les recherches figurant dans les livres conservés dans les bibliothèques. Ce qui fait de celles-ci un outil, un instrument de développement. Il faut le dire : tout ce qui favorise le développement de la connaissance favorise le développement en général. L’éminent philosophe ne cache pas sa « souffrance » qu’engendre l’absence d’une bibliothèque nationale 60 ans après les indépendances. Ce projet aurait dû voir le jour sous la présidence de Senghor qui était un homme de lettres, mais d’autres priorités se sont imposées comme si quelque chose d’autre que la culture pouvait être prioritaire pour le chantre de la Négritude. Ses successeurs furent encore moins soucieux de mener à bien ce projet. Mais il n’est pas trop tard.
Djibril Samb attend du duo à la tête du pays « le geste décisif » qui permettra au Sénégal d’avoir enfin une bibliothèque nationale, qui est un instrument à la fois de conservation, de production et de diffusion du savoir. Il avoue que son vœu le plus cher, son rêve le plus secret, « c’est de pouvoir aller travailler dans notre bibliothèque nationale, quand elle sera construite, pendant une matinée et puis de rentrer à la maison non pas au sens littéral de cette expression, mais au sens où l’entendait Nelson Mandela, c’est-à-dire de passer de vie à trépas, retourner d’où nous venons ». En tant que lieu de conservation de tout le patrimoine national, une bibliothèque nationale est une sorte de mémoire collective d’une nation. D’ailleurs, une telle infrastructure ne se limite pas seulement au domaine livresque. À titre d’exemple, la Bibliothèque nationale de France a quatre sites à Paris et d’autres en Province, avec plus de 15 millions d’ouvrages, sans compter les départements dédiés aux manuscrits, aux photos, etc. Bref, c’est un immense empire du savoir.
« Il faut d’ores et déjà que les autorités politiques qui décideront de créer une bibliothèque nationale sachent qu’un tel projet ne se construit pas sur un réduit ; il faut des hectares et des hectares, il faut de grands bâtiments, une construction ambitieuse », avertit le Pr Samb. Pour la Bibliothèque nationale de France, le président Mitterrand avait lancé à l’époque un concours faisant appel aux meilleurs architectes du pays. Contrairement aux idées reçues, on ne doit pas négliger, par une sorte de déformation idéologique incompréhensible, l’importance des lettres et des sciences humaines. En effet, nombreux sont ceux qui pensent que le progrès est dans l’exclusion des humanités. En réalité, le développement des lettres et des sciences humaines est lié au développement des sciences dites exactes. Là où se développent les sciences, les lettres se développent, et vice versa. Seule une idée saugrenue oppose ces deux modes de connaissances.
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