Les lambeaux de pourpre attirent les animaux privés de raison. Dans les multitudes, selon Lamartine, il y a forcément des moments d’aberration. Sinon comment comprendre l’hommage en pointillé puis plein d’émotions rendu à Papa Bouba Diop, depuis quatre ans et l’annonce de son souffle éteint. L’ancien international sénégalais était un colosse aux pieds non argileux qui maniait le ballon comme les petites mains agiles manipulent des narcotiques dans les bas fonds de Bogota. Ses lasers explosifs, ses tirs d’élites, son élégance méprise Lagerfeld. Ainsi armé, il était meneur d’une troupe qui ne jouait qu’un match à l’heure du soleil et midi d’un dernier vendredi de mai 2002.
Papa, en bon père de famille, avait dirigé sa bande organisée pour un braquage historique devant des milliards de personnes. Bouba avait porté un coup de griffe victorieux d’ours malgré la position fœtale de Barthez et Desailly, ses proies françaises. Contrairement à Lat-Dior dont la stature est souvent contestée par des frustrations endogènes, ce Diop est devenu héros national avec la grandeur d’âme si ordinaire que la grande faucheuse a osé s’en prendre à lui.
Pourtant en réalisant la promesse de l’éternité, Papa Bouba Diop était proche de nos souffles. Il l’est devenu un peu plus depuis dimanche. Le 29 novembre est désormais un de ces événements qui sortent tout le reste de nos pensées. Son envol fait désormais partie de ces réalités qu’on est pas prêt à recevoir. Toute tentative de bien-être en devient illusoire. Papa Bouba Diop. Il y a des noms que le temps ne parviendra pas effacer.
En effet, il fait partie de ceux à qui l’histoire s’allie pour garder son prestige. Comme l’était Phidippidès, le messager grec qui a parcouru la ville de Marathon jusqu’à Athènes pour annoncer aux citoyens la victoire des Grecs sur les Perses lors de la bataille de Marathon durant la 1ère Guerre Médique. Après avoir délivré son message, Phidippidès mourut d’épuisement car il venait de courir 40 kilomètres. Dans le panthéon de nos cœurs, Papa Bouba Diop est de la trempe de Jesse Owens, le premier sportif noir de renommée internationale qui était considéré comme le meilleur sprinteur de l’entre-deux-guerre, celui qui a mis camouflet au racisme en empochant plusieurs médailles d’or aux JO de 1936 prévues par Hitler pour être une vitrine du racisme et du nazisme. « Il avait mis en pièces les théories racistes de la supériorité des aryens », relatent toujours les manuels d’histoire.
Papa Bouba Diop a sa place entre Tommie Smith et John Carlo, médaillés d’or et de bronze, sur le podium de l’épreuve du « 200 mètres » aux Jeux Olympiques 1968 de Mexico. Gants noirs sur des mains levées lors de l’hymne américain, Smith et Carlos dénonçaient les discriminations dont les noirs sont victimes aux Etats-Unis. Papa Bouba Diop peut concurrencer Peter Norman, l’Australien arrivé deuxième de la même course qui s’était montré solidaire de ce combat.
Le numéro 19 des Lions est le trait d’union qui regroupe sport et histoire comme l’est en train de devenir Colin Kaepernick, l’américain joueur de football américain qui a été le premier à s’agenouiller lors de l’hymne du pays de Trump pour protester contre le racisme et les violence policières qui y ont court. Dans cette catégorie, il rejoint Louis Mbarick Fall alias Battling Siki, le premier Africain champion de boxe en 1922. En battant le Français Georges Carpentier, le natif de Saint-Louis mettait KO, pour un moment, les préjugés racistes. Aux côtés du patriotique Jules-François Bocandé, capable d’entourloupes pour écoper d’une sanction en club afin de jouer avec les Lions du Sénégal, Papa Bouba Diop est titulaire indiscutable dans l’équipe type du panthéon national sénégalais. Moussa DIOP