Au Centre culturel régional Blaise Senghor, dans le cadre du 12e Salon national des arts visuels, une exposition singulière, « Femme en création », a surgi comme une aurore inattendue. Un espace dédié exclusivement aux femmes, non par repli, mais par nécessité. Car l’histoire de l’art, souvent, les a tenues en marge. Ici, elles sont au centre. Et ce centre irradie. L’expo est visible jusqu’au 17 août 2025.
Hymne aux forces créatrices ! Elles sont venues sans fracas, les bras chargés de visions. Elles n’ont pas crié. Elles ont peint. Sculpté. Cousu. Photographié. Elles ont tendu leurs œuvres comme on tend un miroir aux peuples endormis. Elles regardent le monde autrement. Et ce regard, elles le gravent dans la matière avec rigueur, intuition, silence ou éclat.
Vingt-deux femmes. Vingt-deux mondes. Et le même feu sacré au fond des yeux : celui de créer pour dire, pour réparer, pour transmettre. Pour la première fois, à l’occasion d’un Salon national des arts visuels, un espace est exclusivement dédié aux femmes pour faire parler des talents.
À travers cette exposition d’élite « Femme en création », se dessine une constellation de formes où chaque artiste impose son souffle, sa tension intérieure, sa vision du monde à la fois intime et collective.
Ce jeudi 7 août 2025, 15 heures précisément, dans un silence feutré, toutes les œuvres dans la salle d’exposition du Centre culturel Blaise Senghor gardent un calme olympien. Sokhna Cissé, avec sa technique de photographie numérique et de manipulation imprimée sur toile, en capturant l’instant suspendu d’une footballeuse, décloisonne le regard. Le sport devient art. Le geste devient révolte. La photo, un manifeste silencieux.
« Le football a été longtemps considéré comme un sport exclusivement réservé aux hommes. Si c’était le cas, cette œuvre stylisée, naturellement, avec ces lignes, cet équilibre et ce sens du regard, n’aurait jamais été réalisée sur le vif de l’action d’une passion partagée autour du sport », murmure-t-elle sur la feuille.
Debout, femme !
Puis, Maguette Coulibaly nous tend une écharpe trempée de larmes. Celle d’Awa et Adama, jumelles peules, séparées par le destin, réunies dans une toile où la tragédie du Joola épouse la douceur d’un amour sororal. Le tissu y pleure, mais se dresse. À travers le lien des jumeaux et une mystérieuse écharpe, l’œuvre explore la condition féminine, les tensions entre tradition et modernité et le drame de la tragédie du Joola.
Amina Jules Dia, elle, ne photographie pas : elle incante. C’est une photographie trempée sur pigment naturel. Son œuvre, « Jinne Ji », est un rituel d’indigo, de café Touba, de fer rouillé. Une relique africaine qui murmure aux ancêtres. On y lit des ruines. On y entend des chants. La matière n’est plus inerte : elle palpite.
Pas d’arrêt en si bon chemin. Avançons. Maïmouna Sall et Aminata Dieng, à travers « Tissons l’héritage » avec l’aide d’un glacis pinceau sec avec acrylique haute qualité, tissent le souvenir des pagnes, comme on tisse une mémoire commune. Le textile devient verbe. Chaque motif : une prière. Chaque couleur : un héritage.
Tandis que Mariza, dans son Cosmos « Équilibre », renverse les certitudes. L’homme n’est plus le nombril du monde. Il flotte, avec les arbres et les vents, dans une ronde cosmique où seule compte l’interconnexion.
Et c’est là que la Yaay Fall Fatou Kiné Diop émerge. Dans un souffle discret, la photographe révèle la grandeur des invisibles. « Pilier invisible de la foi ». Cette œuvre, souffle-t-elle, rend hommage à une Yaay Fall, femme engagée dans le mouvement Baay Fall, figure de force, de foi et de service silencieux. Oui, ces femmes des confréries, oubliées des récits, portent pourtant le ciment de nos croyances. Leur silence est une colonne. Leur foi, une architecture.
« Ma vision sur l’Afrique »
Maïmouna Diop, elle, contraste juste à l’entrée de la salle, l’axe du regard, pense le mobilier comme une Afrique démontable. Une table-carte. Un siège-mémoire. Son œuvre est une géographie domestique, fonctionnelle, fière : « Ma démarche artistique est puisée d’une réflexion par rapport à la gestion de l’espace des ateliers et des bureaux exigus en tant que technicienne de l’environnement. »
Quant à Thiané Laye Fall, elle peint la force féminine avec une vigueur chromatique bouleversante. Doole Jigéen : c’est la femme debout, ancrée, audacieuse, défiant le patriarcat sans bruit, mais sans trembler.
Puis surgit Mbaxaan, de Yaay Hawa Fall, avec son œuvre saisissante « Doole Jigéen ». Des liens invisibles, des corps tissés, des regards qui parlent sans mots. Une photographie qui dit l’essentiel : ce qui nous relie.
Ndéye Astou Faye, dans une symphonie de boutons, peint l’union des contraires. Noir, blanc, chaud, froid : elle appelle à une alchimie supérieure.
De cette alchimie supérieure, Diariétou Guèye fait danser les souvenirs. Son « Goumbé » vibre. On y entend les tambours, on y voit les pagnes virevolter, et cette pudeur des gestes anciens qui disent la joie sans s’exhiber.
Puis vient Mariama Fatma Sékou Gassama qui, d’un seul tableau, révèle la double face du monde : progrès ou vertige ? Intelligence ou dépossession ? Elle peint nos ambivalences dans sa production « Face cachée ».
Astou Guèye, elle, éclate les visages comme on brise un secret. Son œuvre « Résilience féminine » est une mosaïque de douleurs et de renaissances. Les éclats de miroir nous reflètent : nous y sommes tous.
Nadia Maya Mandine, avec sa sculpture de bois et de calebasses, murmure l’océan, la mère, la mer, le masculin porté par le féminin. Une œuvre-chaman, faite de sel et de courage.
Persévérance
Suivant le fil audacieux, Fatime Mbengue trace l’abstraction comme on écrit un poème. « Croisement », c’est l’espace où se frôlent la solitude et l’extase.
Mame Korka Ndiaye, elle, à travers « Tam-tam d’Afrique », fait résonner les mains du monde : des peaux, des rythmes, des danses. Une fresque d’unité humaine.
Dans cette humanité, Marième Ndiaye proclame : « Ensemble, on va plus loin ». Une toile comme un cri doux. Un appel à la cohésion.
Puis Aminata Seck, dans un geste simple et magnifique, peint « L’espoir » de rester. De bâtir ici. De croire que l’exil n’est pas la seule issue. Trois silhouettes, du café sur la peau et cette lumière au centre : celle d’un avenir possible.
Oui, un avenir radieux est possible pour qui connaît Fatoumata Sy. L’artiste ose dire la complexité de la seconde épouse. Ñaareel, belle et redoutée, amie et rivale. Une figure ambivalente, rendue avec justesse.
Ndèye Marie Tall, elle, ne crie pas. Mais son tableau, « Amatuma xol », hurle en silence. Excusez l’oxymore. « Je n’ai plus de cœur », dit-il. Et pourtant, il bat encore. Pour toutes.
Enfin, Adama Thiam conclut. Une noix de cola « Guró». Une offrande. Une promesse. Une prière qui scelle la paix. « La noix de cola est présente dans toutes les cérémonies aussi bien religieuses que celles autres traditionnelles. Elle est présente dans notre vie de la naissance à la mort avec un pouvoir culturel, mais aussi cultuel », explique-t-elle.
Ces vingt-deux femmes ne demandent rien. Elles donnent tout. Elles bâtissent, avec la matière, des cathédrales de sens. Elles ne veulent pas plaire. Elles veulent faire voir. Et ce qu’elles nous offrent, c’est un monde où la beauté est un combat et l’art, un acte d’amour.
Adama NDIAYE