Près de 6.000 participants venus de 104 pays ont participé au Forum africain des systèmes alimentaires, à Dakar, du 1er au 5 septembre. Au cœur des activités, et non en marge, l’exposition Graff’Fresque Agricole a permis de centraliser les idées et réflexions sur des toiles et par le graffiti, affirmant l’essence de l’art et sa convenance avec l’innovation.
Avec « Graff’Fresque Agricole », le 19e Forum africain des systèmes alimentaires organisé à Dakar, du 1er au 5 septembre, a gagné des couleurs joyeuses. Cette étape artistique a constitué une plaisante fenêtre à côté de la rigidité et de la pesanteur qui présidaient dans les salles de conférences, alourdies de concepts et de costards. Les 9 toiles présentées, avec la longue fresque, ont été la coqueluche de l’événement. En empruntant l’allée qui mène aux salles de conférences du Centre international de conférences Abdou Diouf (Cicad-Diamniadio), les milliers de participants et personnels circonstanciels se sont rendus aux panels au pas de charge, le visage grave. Mais un fait drôle s’est produit presque systématiquement quand ils arrivaient devant les œuvres, installées sur la pelouse, au bas-côté.
Ces gens ralentissent la marche, trouvent le sourire, approchent leur nez pour mieux contempler les couleurs et formes sur les toiles, engagent une discussion sympa, se décontractent et continuent leur route, moins constipés. Certains évoquent des intérêts singuliers. « Mon fils adore les dessins », dit un vieil homme en anglais. « Vous vendez ces pièces ? », interroge une autre dame. « Qui a réalisé ces tableaux ? C’est beau ! », s’exclament d’autres, tandis que quasiment tous sortent le Smartphone pour prendre des photos, les yeux illuminés. Les réseaux et médias sociaux suffisent comme marqueurs : on voit les œuvres dans presque toutes les photos et vidéos publiées par des participants sur Instagram, Facebook, LinkedIn, Thread, Tik Tok ou YouTube.
L’art de rue comme héraut
Cette édition du forum de Dakar, qui suit celle reçue à Kigali l’année dernière, était dédiée à la jeunesse. En totale résonnance avec le thème annuel « La Jeunesse africaine : Fer de Lance de la collaboration, de l’innovation et de la transformation des systèmes agroalimentaires », les 10 œuvres « Graff’Fresque Agricole » sont une réalisation d’une équipe exclusivement jeune. Sur la grande fresque, on lit « Jembët sunu ëlëg » (du wolof, semer notre avenir), dans des tons et aspects qui évoquent espoir et lumières. L’œuvre retenait toujours l’attention des passants, portant en elle les intelligences et les sensibilités que les échanges du forum ont cherché à susciter en 5 jours. Réalisé par 11 jeunes artistes, qui ont travaillé tel un orchestre philharmonique, le mur de fresque est une preuve qu’une jeunesse unie et soutenue est facilement capable de merveilles. Ça montre aussi que, autant la jeunesse est la semence de l’avenir, autant elle a les mains vigoureuses et les idées novatrices et révolutionnaires pour fructifier la terre.
Elle est la vraie force de transformation et la matrice des systèmes. Les visiteurs ont pu vérifier ces assertions dans les autres œuvres. Bien inspirés, les jeunes artistes ont abordé les innovations technologiques, le trajet des cultures de la terre à la terre, la problématique de l’eau, l’agriculture d’avenir, etc. Les œuvres ont été faites en 24h. Commencées le dimanche 31 août, veille du forum, pour être terminées lundi matin avant l’arrivée des chefs d’État sénégalais Bassirou Diomaye Faye et rwandais Paul Kagamé, qui ont présidé l’ouverture du forum. Elles portent la signature collective de Kheucha 04, Remena, Torodo, Thiat, Dasha, Samora, Arona, Kara et Glyph, Zeinixx et Madzoo. La pratique a été coordonnée par Zeinixx et Madzoo, qui sont les directeurs artistiques du projet. L’harmonie des intelligences Dieynaba Sidibé alias Zeinixx s’est présentée avec son collectif Zeinixx Entertainment, et Madzoo avec le Rbs Crew. Les 9 jeunes sont d’ailleurs une cuvée des deux académies dirigées par Zeinixx (Graff’All) et Madzoo (Rbs Ackademya), qui sont des projets de formation gratuite pour des jeunes passionnés de Street art (art de rue). Avec cette trouvaille, c’est aussi la rue qui va à la rencontre des rencontres feutrées et des milieux sélects qui décident pour la destinée des citoyens, presque toujours sans leur avis direct. L’échange était établi avec une toile d’expression publique, où les passants avaient le loisir d’écrire ou de dessiner librement leurs sentiments dessus.
L’influenceur artistique, Xalil Cissé décrit bien l’esprit, dans un post Facebook sur son profil : « Cette introduction du Street art au milieu de ces espaces corporate dans ce forum de l’agriculture est le xorom dans le cin (le sel dans la marmite). C’est la cassure des rythmes cloisonnés, un élément fort qui redonne un souffle nouveau entre les deux. C’était la ligne d’horizon qui démarque le ciel et la terre », décrypte Xalil. L’art étant certainement le ciel…
Oumar Sall et Abdoulaye Saër Diop: les maîtres d’œuvre de l’expo
Oumar Sall et Abdoulaye Saër Diop sont les chefs du projet. Le premier en étant l’initiateur et le curateur. Avec cette expo, Oumar Sall reste dans son vœu constant de concilier les arts avec les autres domaines, dans une brillante ingénierie culturelle.
À côté des œuvres, Abdoulaye Saër Diop est là, allant et venant. Avec son entregent légendaire et sa singulière bonhommie, il provoque un lien efficient avec les passants. Il les intéresse aux œuvres, à leur sens et leurs propos, avant de passer la main à son acolyte Oumar Sall. Abdoulaye Saër est un homme lige particulier. Il est le bras technique de cette expo, qui s’inscrit dans une dynamique. Il nous explique la moelle du projet : « À l’intérieur des salles, c’est le pouvoir apparent. Ici, c’est le soft power. La culture est la sève des choses, mais les gens ne s’en rendent pas toujours compte. Notre idée, c’est d’inscrire les arts dans ces espaces pour qu’ils s’expriment dans la parfaite noblesse et la simplicité qui sont les leurs », explique l’entrepreneur culturel A. Saër Diop, affirmant qu’il s’agit d’ingénierie culturelle.
« Nous n’avons rien contre le folklore. Mais nous estimons qu’il y a des moments où il faut imposer l’artistique. Avec l’art, on peut montrer et démontrer avec aisance et pédagogie, quelle que soit la thématique », renchérit Oumar Sall. Il confie que le souhait de son équipe est de tenir ce genre d’expositions, à chaque fois que le Sénégal accueille de grands événements. Au-delà des œuvres présentées, à son avis, c’est la grandeur, l’intelligence et la sensibilité de notre pays qui sont exposées.
« Volontaire des arts et de la culture », « contributeurs innocents du développement national », l’équipe porte l’ambition de créer des contenus innovants avec la culture. Avec des projets qui font sens, en total accord avec nos identités et à la hauteur de l’image que souhaite présenter le Sénégal fier, créatif et souverain. « La partie graphique ne devait être qu’une portion du projet. Nous souhaitions installer une grosse carte interactive. Ça aurait été une carte du Sénégal avec les différents types de sols, pour documenter les types de culture et disposer de données par rapport à l’agriculture, présenter des statistiques et les tendances des dernières années, etc. Ça aurait été l’occasion de présenter aussi les patrimoines des régions, par exemple lire un chant qui accompagne la culture de l’arachide dans le Baol », fait savoir Oumar Sall, dont l’équipe était contrainte par les délais trop courts.
Le modèle aurait été un moyen de pédagogie plus direct, plus incisif et plus dépouillé, mais aussi plus distractif et accessible, tout en faisant le résumé des nombreux panels. La même intelligence a conduit aux choix du graffiti comme art d’expression. Au-delà de son aspect urbain et inclusif, le Street art était plus pragmatique. « Ce n’est pas bien indiqué de faire des commandes aux artistes plasticiens, aux vrais en tout cas (rires). Mais le graffiti est l’art de la spontanéité et de l’urbain », édifie Umàr Sali, goguenard. Il s’agissait aussi de rapprocher l’imaginaire rustique de l’agriculture aux milieux citadins et académiques.
Par Mamadou Oumar KAMARA