Abdoulaye Mboup était un distillateur de mémoire, un dépositaire du roman national sénégalais. Il a fait de sa voix un patrimoine.
Laye Mboup appartient à une tradition où la parole n’est pas un simple véhicule du chant, mais une architecture symbolique. Son œuvre repose sur une maîtrise de l’orature, cette forme de production et de transmission du savoir par la voix, la mémoire et le rythme. À travers ses compositions, il bâtit un espace discursif enraciné dans les dynamiques du récit, de l’éloge et de l’instruction morale. Ce qu’il transmet, c’est un langage chargé d’histoire, structuré par les valeurs, habité par les noms. On entend cette résonance mémorielle dans Lat Dior, Bouna Ndiaye, Aynina Fall, etc. C’est ainsi que le journaliste Djib Diédhiou écrivait dans les colonnes du « Soleil » : « Plus qu’un chanteur, c’était un moraliste. On était envouté par cette voix qui faisait ressurgir dans les mémoires la bravoure et les chevauchées des guerriers d’antan : Lat Dior, Bouna Ndiaye. L’homme avait séduit par la seule magie du poste-transistors. Ceux qui l’ont vu sur les planches ont été conquis par son élégance, ses gestes mesurés ».
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Dans le contexte sénégalais, la parole chantée fonctionne comme un vecteur de conservation et de légitimation. Elle prend la place de l’archive, elle fait autorité. Laye Mboup s’inscrit dans cette oralité active en l’élevant au rang de patrimoine immatériel, par la densité de ses textes, par la précision des références, par l’organisation de la parole comme dispositif de mémoire. Il s’agit de formulations puissantes, construites, destinées à durer, à circuler, à former. Ainsi, l’œuvre de Laye Mboup constitue une archive vivante, dans laquelle l’histoire nationale se donne à entendre plutôt qu’à lire. Figures fondatrices, lignages résistants, formes d’héroïsme moral, autant d’éléments qu’il articule dans une langue dense, souvent solennelle, au service d’un discours de transmission. Cette parole, loin d’être décorative, institue et affirme une mémoire collective. Son usage du wolof comme langue de l’Histoire participe à cette dynamique. Loin d’un folklore, il s’agit d’une véritable écriture orale, dans laquelle le rythme, la formule, la répétition et l’intonation assurent la fonction mémorielle. Laye Mboup mobilise ces outils avec une précision qui relève de la composition intellectuelle. Le résultat est un patrimoine discursif, qui se situe à la croisée de la musique, de l’histoire et de la philosophie morale.
La reconnaissance de cette œuvre comme bien culturel immatériel implique de la considérer non pas uniquement dans son esthétique musicale, mais dans sa fonction sociale et politique. Laye Mboup est à entendre comme un créateur de récits fondateurs, un producteur d’oralité signifiante, dont les textes fonctionnent comme des repères discursifs pour plusieurs générations. Il ne s’agit donc pas seulement de sauvegarder une œuvre musicale, mais de protéger une pensée orale, une manière de dire le monde qui engage le collectif, structure la mémoire et donne forme au récit national.
Amadou KEBE