Au début était la cuisine de grand-mère. Et cette dernière a transmis la grammaire de ses plats à son petit-fils Aziz Agbo-Panzo. Et l’appétit s’intensifiant en cuisinant, la pratique fit du petit-fils un grand chef…
Un espace. Verres, tables, chaises, senteurs : restaurant ! Un monsieur et son cameraman. Ils optimisent son et lumière. Ils cherchent dans l’espace du restaurant le meilleur coin pour tourner. Le monsieur règle la scène au détail près : chef d’orchestre. Chef d’orchestre dans un restaurant ? Chef, disons seulement, chef ! Chef, oui, chef ! Chef, c’est l’épithète qui accompagne le nom Aziz Agbo-Panzo. Le chef est donc en train d’épicer la sauce d’une vidéo qu’il va destiner aux peuples des réseaux sociaux avec qui il partage l’amour des bons mets. Mai, 2025, du 2 au 11… on en parle après…
Au début était la cuisine de grand-mère. Cette cuisine manquera au jeune qui avait quitté le cocon familial pour les rues glaciales d’Europe. Qui, alors, n’en mangeait qu’une fois revenu au pays pour profiter des vacances. Les vacances finies, retour au froid, loin de la chaleur humaine de mamie, loin des odeurs du « yassa », du « ceebu jën », du « mafé ». Dans cette Europe des années 80-90 de solitude et d’inexistence de restos proposant des plats du pays, une envie naquit. Aziz qui n’est encore chef fait du manque sa madeleine de Proust. Et, « c’est là qu’est vraiment venue la passion de la cuisine ». C’est un monsieur entre deux feux qui a ainsi parlé. Deux feux : surveiller la mise en scène pour la vidéo, donner une interview. C’est alors le rush, pour servir à temps les deux mets. Mai, 2025, du 2 au 11, il sera question d’un rush culinaire dans Dakar. Plus de détails, plus bas.
Plus, plus, plus jeune pourtant, Aziz Agbo-Panzo ne rêvait pas poêle et paella. Il rêvait de Praia via les nuages, de rallier les pôles à bord d’un cockpit. Il aurait voulu être pilote, ce monsieur qui, même assis, en impose par sa taille. Sa taille, précisément, a été un obstacle entre l’aviation et lui. Ce rêve, alors, s’écroula comme un château de cartes, comme s’est en outre écroulé son rêve de devenir architecte. « Trop chère », cette formation ! Architecture, non ! Non, aviation. Pourtant, Aziz Agbo-Panzo est devenu architecte. Dans un entre-deux-domaines qu’on pourrait qualifier d’architecture culinaire. Recette : « construire des choses qui sont beaucoup plus grandes que moi, on va dire, en termes de taille, et qui ont un impact au-delà d’un pays ». Parmi ces choses, il y a le Dakar Restaurant Week.
Dakar Restaurant Week ? Chef, expliquez. Il « consiste à inviter le public à faire la tournée des restaurants pendant dix jours à un tarif unique. Il y a une belle gamme de restaurants dans différents endroits de Dakar. Donc c’est une fête, une célébration que j’ai vécue aux États-Unis et que j’ai adaptée ». Aussi, par cette seule initiative qui transporte les gourmets de Fly by Fanny à (quel restaurant dakarois encore ?), le rêve de pilote du Aziz d’un autre temps devenu chef s’est réalisé. Il fait voyager ses invités dans le Dakar des bons plats, et les cuisines du monde le transportent un peu partout dans le monde. États-Unis, Canada, Europe, Asie.
Cuisine non genrée
Parler de cet homme dont la présence dans la cuisine déconstruit le stéréotype bien sénégalais selon lequel cette partie du foyer serait réservée aux seules femmes, c’est inévitablement évoquer le digital. Comme « chef », Cowaf est aussi devenu une épithète qui accompagne le nom de l’initiateur du marathon culinaire qui prépare sa quatrième édition. Cowaf est un mot plat déjà fini. Ses ingrédients éclatés donnent Cook With Aziz And Friends. Avec ses amis, sur Facebook, depuis 13 ans, le chef Aziz cuisine. Le groupe réclame ainsi 21.000 membres dont 12.000 au Sénégal. Ainsi, la magie des réseaux sociaux a-t-elle aidé à « démystifier » le stéréotype, en rendant « fun » le fait de concocter un plat. L’initiative, alors, a consisté à faire découvrir aux gens « la cuisine, à leur manière, selon ce qu’ils aiment, selon leurs origines, selon leur goût ». L’ambition de démystifier, l’idée de déconstruire un stéréotype se verront « appuyées » par l’avènement du Covid-19. En effet, « quand on a eu Covid, plein de gens étaient en cuisine, par force, parce que beaucoup de restaurants étaient fermés ». Ouverts, pour accueillir les invités du chef Aziz, seront les restaurants dakarois, avec des plats faits pour l’occasion, avec des tarifs conçus pour l’occasion. Histoire de booster l’activité, parce que dans l’esprit de ce chef, la cuisine, c’est aussi, du tourisme, c’est aussi un narratif à construire autour des plats afin que ces derniers puissent apporter leur grain de sel à l’économie. Le tourisme ne devrait pas, selon ce qu’en entend l’homme tout sourire, être qu’une question d’hôtellerie et d’excursion. Et, précise-t-il, ces deux éléments ont toute leur importance. Mais, a tout autant son importance ; ce qu’a réussi à faire la Thaïlande avec le Pad Thaï, autour duquel un dispositif marketing a été architecturé. Piste : « aujourd’hui, nous avons le « ceebu jën » qui est patrimoine immatériel de l’Unesco et on devrait construire des événements qui attirent le public sur le « ceebu jën » ». Patrimoine, histoire, valorisation, encyclopédie : des mots, des orientations, des chantiers. Des chantiers nécessaires et pour l’exécution desquels Aziz Agbo-Panzo sollicite un appui institutionnel. Parce que « le nerf de la guerre, c’est l’argent ».
Pour l’heure, d’autres chefs ainsi que lui jouent à leur niveau leur participation, pour ce qui est de l’exportation hors frontières sénégalaises et africaines, de la cuisine de grand-mère. Dans les marmites de leur ingéniosité, le gombo, par exemple, cuit autrement. Le jeune qui avait dans ses bagages immatériels les plats de grand-mère continue de sillonner le monde, apportant aux autres l’univers culinaire de Maam Bóoy et apprenant d’eux des secrets de cuisson. Et s’il faut aller jusqu’au Vietnam pour une authentique recette de nem, pourquoi pas ?
Moussa SECK