En parallèle à la 33e édition du Festival international de jazz de Saint-Louis, la nostalgie et la mémoire ont été chantées au Musée des Indépendances (MuPho-Musée de Photographie). À 77 ans, le vieux photographe Adama Sarr, qui a raconté pendant deux ans sa ville à travers les images, a vu son œuvre réenchantée de leur histoire et leurs couleurs identitaires.
SAINT-LOUIS – C’est l’histoire (et c’est vraiment de l’histoire) d’un jeune homme qui ne l’est malheureusement resté que dans son esprit et ses précieux souvenirs. Mais là où la force de l’âge et l’activité ne parlent plus beaucoup pour le personnage, son héritage le défend avec emphase. Adama Sarr a 77 ans. Il est originaire de Matam et y vit toujours. Il a été photographe dans une autre vie, des années 1960 aux années 1980, marquant sur la pierre l’histoire de sa ville et une partie de la sienne. Du moins au travers de son regard d’artiste fixeur d’images. Ses captures de son époque d’activité ont été ressuscitées par le biais d’une exposition au Musée de la Photographie de Saint-Louis, à La Villa (Le Musée des Indépendances, Sud, Île de Saint-Louis). Les clichés téléportent leurs contemporains, et excitent l’imagination des plus jeunes. Sur la photo qui ouvre l’expo, un groupe de cinq jeunes hommes posent sur des parois rocheuses, les quatre portant des pattes d’éléphant, et l’autre un Jean Levi’s. Chapeaux vissés en mode texan sur la tête de trois du quintet, le groupe semble faire l’affiche d’un film western. La pose et la mise sont recherchées. On sent en visionnant cette capture toute l’influence de la culture « yankee » (américaine), importée par le canal du cinéma, des bandes dessinées ou quelques revues illustrées. Sur la deuxième photo, l’un des jeunes hommes de la photo précédente pose seul. Ses bottines noires apparaissent plus clairement, main à la poche, sourire en coin, l’autre bras accoudé à un rocher. Il s’offre en biais à l’objectif de la photo d’Adama Sarr.
Matam, ville au diapason du monde
La référence est mieux évidente sur la troisième photo du parcours. Le modèle, toujours un bonhomme, se laisse choir sur du gazon comme au pique-nique, croise les pieds, posant à côté d’un tourne-disque et d’un disque de rock’n’roll. Sur une autre photo, un autre groupe de cinq pose avec une motocyclette. L’un d’eux porte un boubou et un « caaya » (pantalon bouffant), un autre arbore une chemise « anango » et un pantalon patte d’éléphant comme les trois autres. On voit également sur les autres photos des scènes de bal, avec de jeunes dames et hommes bien apprêtés, et un collé-serré drôlement maitrisé. Les images valent le détour au musée.
L’expo présente une toute petite portion de l’œuvre du vieil Adama Sarr certes, mais ô combien importante pour sa mémoire et surtout celle de sa ville. Ces photos documentent singulièrement l’histoire de Matam des années 1970 et 1980 notamment, en présentant sa culture qui s’hybridait avec les influences d’autres identités enchanteresses qui leur parvenaient par divers médias. Matam est une ville branchée au diapason du monde dès le lendemain de l’indépendance, nous disent ces archives. Ces dernières nous montrent aussi comment Adama Sarr avait l’œil de son art, pour penser immortaliser ces instants probablement anodins à l’époque pour les offrir à la documentation historique.
Adama Sarr est né à Matam en 1947. Il avait un cousin photographe, nommé Baye, dont il s’éprendra du métier. En 1966, il fait le bond et débute sa carrière de photographe. D’abord ambulant, l’appareil porté en collier qui frappe sa poitrine et son cœur, le jeune Adama parcourt en conquérant les rues de la ville de Matam et ses villages alentours. En 1969, il « reprend » le Studio Baye et le transforme en un sanctuaire légendaire de l’âge d’or de sa ville, Matam. « Adama Sarr développe sa passion pour l’art de la photo en apprenant les techniques de développement en laboratoire et en saisissant chaque occasion de capturer la vie qui l’entoure », relate la note curatoriale de l’exposition. Jusqu’aux années 1980, il immortalise activement une génération libérée, une esthétique unique où la mode oscille entre tradition et influences d’ailleurs.
Adama, telle une météorite
Sa carrière constitue un témoignage poignant d’une époque où le fleuve n’était pas seulement un paysage, mais le tissu même de l’identité collective. Son studio ferme malheureusement en 1992 du fait de la crise économique et l’arrivée des technologies numériques. Ses archives, riches de plus d’un millier de négatifs, sont longtemps restées abandonnées aux champignons par manque de ressources. Aujourd’hui, grâce au projet « Lost Memory Archive », son œuvre est peu à peu sauvée de l’oubli, numérisée et exposée.
« Last Memory Archive » est une initiative à but non lucratif de recherche, d’archivage et de numérisation fondée et portée par les jeunes Cheikh Tidiane Mbaye et Adelina Sasnaus-Kaite. Le projet vise à rencontrer des photographes sénégalais anciens et méconnus, afin d’engager une réflexion sur l’importance de la préservation de leur travail. C’est un vaste programme, aussi noble que salutaire, au regard de tous ces artistes anonymes qui ont fixé sur pellicule des pans cruciaux de toutes nos parts d’histoire. Ces photographes, et pas que, sont légion et logent hélas le tunnel obscur avec des trésors inestimables.
Mamadou Oumar KAMARA (Envoyé spécial)