Ancienne présentatrice vedette de la Rts, Adrienne Diop a marqué de son empreinte l’histoire du journalisme télévisé au Sénégal. De la salle de rédaction aux hautes sphères diplomatiques, son parcours illustre la puissance de la parole féminine dans un paysage médiatique longtemps dominé par les hommes.
Dans les années 1980 et 1990, alors que la télévision sénégalaise amorçait sa modernisation, une voix douce mais affirmée s’imposait sur les écrans : celle d’Adrienne Diop. Présentatrice du journal télévisé et productrice de l’émission « Zoom Sur », elle a su conjuguer rigueur journalistique et sensibilité sociale. Diplômée en sciences de l’information, elle a ensuite poursuivi une brillante carrière à la Cedeao, avant de représenter le Sénégal en tant qu’ambassadrice en Malaisie. Adrienne Diop incarne une génération de femmes qui ont su briser les plafonds de verre, tout en ouvrant la voie à celles qui rêvent de faire entendre leur voix.
Aujourd’hui, 29 ans après avoir quitté les écrans pour la Cedeao, Adrienne Diop jette un regard en arrière avec nostalgie, mais aussi avec le sentiment de voir comment le destin peut être capricieux car, le sien était, pensait-elle, de devenir interprète en anglais. Mais en 1981, alors qu’elle venait d’obtenir sa maîtrise en littérature anglaise, elle est contactée par l’Office de radiodiffusion télévision du Sénégal (Orts) devenu Radiodiffusion télévision du Sénégal (Rts), qui cherchait quelqu’un pour donner les informations en anglais au peuple gambien après le coup d’État. Elle accepte, le temps d’une pige, pensait-elle sans doute. Néanmoins, l’essai s’éternise et, pendant près de trois ans, le petit écran est sien, tandis que le Sénégal commence à se familiariser avec son visage et sa voix qui marqueront toute une génération de téléspectateurs. Cependant, issue d’une famille d’universitaires, Adrienne décide de suivre le même chemin. Elle met sa carrière en pause pendant quelques années, va à l’Ifp (Paris) pour faire une maîtrise et un Dea en sciences de l’information. Puis, retour au bercail pour reprendre sa carrière là où elle l’avait laissée, à l’Orts.
Le train-train quotidien reprend entre reportages, journaux en anglais, journal télévisé et une émission, « Zoom Sur », coanimée avec Abderrahmane Koïta. L’ennui n’existe pas pour elle, la passion prend le pas sur tout. Devenue figure incontournable de la scène médiatique sénégalaise, Adrienne Diop va néanmoins s’offrir un nouvel intermède d’un an pour faire un doctorat en sciences de l’information et de la communication, avant de retrouver une nouvelle fois le petit écran.
Une idole
Jusqu’en 1996, Adrienne Diop a été un élément du quotidien des Sénégalais. Ces derniers ont appris à la connaître, à l’aimer, et à la considérer comme une partie intégrante de leur vie. D’ailleurs, l’ancienne journaliste a reçu énormément de marques d’affection de la part des téléspectateurs. « On exprimait de la satisfaction par rapport au travail que je faisais, le sérieux, la bonne présentation, l’excellence du travail. Évidemment, ça fait plaisir. Et jusqu’à présent, c’est vrai que j’ai un peu changé, mais je rencontre des gens qui se disent « C’est Adrienne ? Ce n’est pas Adrienne ? Vous nous manquez, on vous aimait beaucoup ». Il y a beaucoup de manifestations de bienveillance. Et ça fait chaud au cœur. Ça prouve qu’on a donné ce qu’on avait du temps où on était en exercice et que certains n’ont pas oublié. Et donc, on a eu raison d’effectuer le travail comme on le faisait », raconte-t-elle, un rire dans la voix. En outre, elle confie que plusieurs mamans ont emmené leurs enfants la voir, soit à la Rts, soit en se débrouillant pour connaître l’adresse de son domicile, seulement pour lui dire que leurs enfants l’aimaient énormément. « Ça me touchait vraiment. Leurs enfants voulaient me connaître. Et je trouvais que c’était gentil. Et j’ai rencontré beaucoup de personnes qui m’ont dit que certains sont devenus journalistes grâce à moi. Et d’autres ont fait de l’anglais et sont devenus professeurs d’anglais ou interprètes grâce à moi. »
Si c’était à refaire…
Avec le temps, Adrienne Diop a conquis les cœurs et imprimé son souvenir dans la postérité. Entrée dans le journalisme par un heureux truchement du destin, elle a brisé des codes et montré la voie à d’autres femmes qui se sont dit que c’était possible d’être femme et journaliste, présentatrice. Le plafond de verre pouvait désormais voler en éclats, car des femmes comme Adrienne Diop ont porté le flambeau avec brio. Mais, si une machine à remonter le temps existait, replongerait-elle dans ce métier parfois tumultueux ? La réponse fuse : « Ah oui, oui, sans aucune hésitation. C’est un métier palpitant. En tout cas, il l’était. Je ne sais pas s’il l’est toujours. C’est un métier où on se renouvelle, on ne fait jamais la même chose, on apprend et on se remet en cause tous les jours. Donc, je n’aurais aucune hésitation à reprendre le même chemin que j’ai pris », clame-t-elle avec passion. Elle ajoute : « Vraiment, c’est un métier qui vous permet de toucher à tous les domaines, de rencontrer toutes sortes de personnes, du niveau le plus haut de l’État jusqu’au plus bas. Quand on va dans les campagnes, dans les régions, on rencontre des femmes, des paysans, des gens d’un niveau moyen, mais des vrais gens, comme je dis, qui vous touchent par leur vie, par leur abnégation, par leur sérieux, par leur travail. On rencontre toutes les couches de la population sénégalaise. Et ça, je pense que c’est une chance. J’ai fait le tour du Sénégal avec certains de mes confrères. Et c’est l’une de mes plus belles expériences, d’ailleurs. Ce n’est pas le plateau devant la télé. Les plus belles expériences que j’ai eues, c’est sur le terrain, à la rencontre des populations, de leurs problèmes, de leurs difficultés, de leurs espoirs, de leurs aspirations. Et quand on a eu l’occasion de les toucher, de porter à l’écran leurs difficultés et leurs espoirs, et de voir certaines de leurs difficultés résolues, ça fait plaisir. »
Viatique pour la nouvelle génération
Après avoir déposé le micro en 1996, Adrienne Diop a intégré la Cedeao. Celle qui a été formatrice au Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti) a ensuite embrassé une carrière diplomatique, étant même, pendant un temps, ambassadrice du Sénégal en Malaisie.
Aujourd’hui à la retraite, elle observe le paysage médiatique, son évolution, ses soubresauts. Et avant de prendre congé, elle n’hésite pas à donner quelques conseils à la nouvelle génération et à celle à venir. Selon elle, les ingrédients pour être une bonne journaliste sont : « De la rigueur, du travail sérieux, ne jamais rien lâcher, de l’honnêteté, du sérieux et de la compétence. Effectuez votre travail du mieux que vous pouvez, avec rigueur et compétence. Et ça, ça vaut pour tous les métiers. Et surtout, ne pas se laisser emporter par ce qui arrive maintenant, le phénomène de la starisation, etc. Ça ne dure qu’un temps. Mais après, on reconnaît qui sont les vrais et les bons journalistes. Donc, il faut travailler, et c’est ça qui rapporte et c’est ça qui paie. »Malgré 29 ans d’absence devant l’écran, Adrienne Diop est toujours dans les mémoires, dans les cœurs. Grâce à elle, des passions ont grandi, des vocations sont nées et les plateaux télé brillent toujours à l’évocation de son nom et de son souvenir. Une pionnière, une porte-étendard, une héroïne, voilà ce qu’elle a été. Adrienne n’a pas seulement raconté l’histoire du Sénégal, elle l’a écrite, ligne après ligne, dans le silence des studios, les couloirs diplomatiques, mais aussi dans le cœur des femmes qu’elle a inspirées. Elle est cette voix et ce visage qui ne s’éteignent pas, ce regard qui éclaire, cette plume qui trace encore, même quand elle semble posée dans le silence d’une retraite. Car certaines trajectoires ne s’achèvent jamais : elles deviennent des constellations.
Par Oumar Boubacar NDONGO