Fille aînée de la grande cantatrice Yandé Codou Sène, Aïda Mbaye perpétue l’héritage de sa mère à travers la transmission, la scène et un appel vibrant à sauvegarder la mémoire d’une légende de la tradition vocale.
C’est sur les pas de sa mère que la chanteuse Aïda Mbaye a façonné sa voix. Pas une voix qu’on façonne à l’école, mais celle qui jaillit du sang et de l’âme. « C’est ma mère qui m’a appris à chanter », confie-t-elle avec émotion. Cette mère, c’est Yandé Codou Sène, figure emblématique de la culture sérère, auprès de qui Aïda a tout appris, tout vécu.
En tant que fille aînée et confidente, Aïda a vécu au plus près de la cantatrice, partageant ses tournées, ses secrets, son souffle musical. Un souvenir revient avec force. « Ma première sortie avec elle, c’était pour les États-Unis. Je venais presque d’accoucher, mais je n’avais pas le choix. Elle chantait, je prenais la relève », se rappelle-t-elle. Plus d’un mois de tournée où se joue la passation d’un art et d’une mission.
Yandé Codou avait une inspiration qui semble venir d’ailleurs. Aujourd’hui encore, Aïda Mbaye se dit guidée par cette même force invisible qui éveillait sa mère dans la nuit. « Des nuits, quelque chose faisait chantonner ma mère. Et maintenant, c’est cette même inspiration qui m’anime », fait savoir Mme Mbaye.
Une passation de témoin en pleine lumière
Une vocation viscérale qu’elle continue de transmettre, notamment aux jeunes gens que Yandé avait elle-même formés. Ses propres enfants, désormais grands, l’épaulent dans ce combat musical. « Ils peuvent maintenant battre le tam-tam pour moi », dit-elle, fière. Car au-delà des chansons, c’est tout un héritage qu’elle incarne. « Les chansons de ma mère, c’est notre sang. C’est pourquoi c’est inégalable. C’est un don », explique-t-elle.
Lire aussi : Yandé Codou Séne, l’affirmation d’une identité culturelle (1/3)
Et ce don, Aïda le cultive avec gratitude. En elle résonne encore la voix de Yandé, comme un fil sacré entre passé et présent. Quand Aïda Mbaye monte sur scène, les spectateurs croient parfois voir et entendre sa mère. « Les gens disent que c’est elle, tellement le sang parle », confie-t-elle. Ce sang, c’est celui de Yandé Codou Sène, légende de la musique sénégalaise, à qui elle doit tout. Et d’ajouter : « Issue d’une lignée de femmes chanteuses toutes mes grand-mères l’étaient ». Mais perpétuer ne suffit pas. Il faut aussi préserver. À Somb, village natal des enfants de Yandé, se dresse encore la maison que Léopold Sédar Senghor avait offerte à la diva. Une bâtisse délabrée aujourd’hui. « Ce site est dans un état de décrépitude », alerte Aïda. Un monument a bien été construit par le maire de Gossas à proximité, à la mémoire de la défunte, mais il n’est toujours pas inauguré. Avant cette inauguration, Aïda espère réhabiliter les lieux : « J’ai multiplié les audiences pour obtenir de l’aide. Cette maison est un patrimoine. » Son rêve : y créer un espace d’exposition, un lieu d’archives et de formation au chant traditionnel. « Il y a toute une histoire à raconter. Et une source d’inspiration à protéger », affirme l’héritière. C’est un appel qu’elle lance aux nouvelles autorités sénégalaises, pour que l’héritage de Yandé Codou Sène ne soit pas laissé à l’oubli. Dans la voix de sa fille, il vibre encore. Pape Diop, premier petit-fils à Yandé Codou, ajoute : « Même sa tombe à Gandiaye n’est plus en bon état. Nous demandons un soutien pour restaurer ces lieux. »
Adama NDIAYE