« New African Orleans » de Alune Wade est une relation musico-philosophico-historique. L’album est une anthologie des sources africaines. Un riche éventail musical qui entretient des apports féconds du patrimoine culturel africain sur l’Amérique. Le bassiste « raconte » comment, après raffinage, ces sons sont revenus en Afrique. Ce retour, mais aussi les voies empruntées par ces rythmes et mélodies pour parcourir le monde et affirmer un échange culturel bien plus humaniste et plus honorable que la traite esclavagiste qui avait valu le premier voyage.
Alune Wade est un prodigieux explorateur et un artiste-musicien d’exception. Il l’a une fois de plus démontré à travers les onze titres de son nouvel album, « New African Orleans » paru le 2 mai 2025. L’intitulé et le contenu montrent à souhait comment l’Afrique et ses traditions culturelles ont imprimé leurs empreintes sur New-Orleans, à travers surtout le jazz. Dans cette production, la Nouvelle-Orléans constitue un symbole remarquable. Cette ville de la Louisiane (Usa), située près du Golfe du Mexique, fondée par les Français, contrôlée par les Espagnols durant un moment, était jadis le plus grand centre de commerce d’esclaves. Un centre du monde, dirait-on.
Un concert cosmopolite où le chapitre culturel est imbibé du patrimoine africain. « New African Orleans » raconte la traversée de la musique, et de la culture plus généralement, vers les Etats-Unis. Mais aussi sa diffusion dans le monde, ainsi que son retour sous de nouvelles formes et couleurs en Afrique. Alune Wade explore un monde qui va des racines aux branches de l’autre côté de l’Atlantique. Le musicien explique que l’idée du projet lui est venue en 2014, lors du Festival Jazz à Gorée, où il a pensé inverser le voyage et entamer une conversation musicale avec les meilleurs artistes de l’ouest et des Etats-Unis. Un chant des identités, et pour l’universalisme.
L’album est accompagné d’un documentaire, « Tukki : Des Racines au Bayou », dont l’avant-première mondiale sera reçue au Cinéma Pathé Dakar, le 22 mai prochain. Le film est une odyssée musicale et visuelle qui guide le spectateur sur le parcours des recherches et de l’enregistrement de l’album (Sénégal, Nigéria et Etats-Unis). C’est par ailleurs dans ces pays que l’album a été enregistré, entre mai 2024 (Saint-Louis et Lagos) et automne 2024 (New-Orleans). Le documentaire présente ces lieux qui, chacun pour sa part, représentent des terreaux du jazz. Il révèle comment le patrimoine culturel africain a façonné l’identité de la Nouvelle-Orléans, « mélange unique de cultures africaines, créoles et européennes ».
Dans « New African Orleans », Alune Wade se fait le médiateur de deux peuples jumeaux. Des monozygotes que la nature a unis avant qu’un fait historique malheureux, la traite négrière, ne les divise. Des Noirs aujourd’hui différents par certaines communications et des habitudes au quotidien, mais que les distances et le temps n’ont pas réussi à corrompre le fond identitaire commun. Alune Wade entonne ainsi un hymne aux origines, à la culture. Il est également un pont entre les peuples, à qui ils indiquent de dialoguer et de communier par le meilleur canal qui soit : les arts, la musique à l’occurrence. « New African Orleans », c’est aussi ce discours.
Un propos qui n’indique pas forcément la résilience ou le spleen quand on parle souvent jazz, mais qui chante l’amour et nos analogies. Jadis, on chantait pour la liberté, pour être libre. Aujourd’hui, il est invraisemblable de revivre l’épisode Jessie Belvin. Maintenant qu’on semble avoir gagné la liberté et l’égalité, l’art se veut une gomme pour effacer les vilaines frontières sociales, raciales, économiques et politiques qui persistent. Alune Wade s’en fait une voix.
Outre cette affirmation culturelle, Alune Wade célèbre la nature, la puissance spirituelle, la résistance, l’hospitalité, l’universalisme, la migration. Au travers de créations originales, mais aussi de classiques revisités avec maestria. Un concert d’hommages qui rend compte des riches humanités d’Alune Wade, et de sa propre virtuosité. Au-delà, le bassiste affirme encore le genre musical dont il se dit le plus proche : la globalisation. Un résultat de son riche parcours, avec d’innombrables collaborations et un apprentissage régulier, dont « New African Orleans », son sixième album, n’est qu’un segment.
Mamadou Oumar Kamara