En second tableau de la deuxième soirée du St-Louis Jazz, Alune Wade a établi le swing dans une session époustouflante. Pour sa troisième fois à l’affiche de ce festival, l’auteur-compositeur et bassiste sénégalais est venu en conquérant. Tête d’affiche, il a présenté une partie de son nouvel album « New Africain Orleans », arborant la même tenue que sur la pochette de l’opus. Album dont il a d’ailleurs enregistré une partie à Saint-Louis, en 2024. Le spectacle faisait un peu ainsi la boucle, poursuivant une tournée qui l’a mené sur plusieurs scènes du monde, à Dakar, le 23 mai dernier, et qui se poursuivra dès le 4 juin à Paris.
Alune Wade ouvre son set avec « Night Tripper », l’intro de son nouvel album. Il le débute avec sa basse, la batterie et le clavier, tout en douceur. La section sera rejointe quelques petits instants après par un fantastique brass band (saxo, deux trompettes, baryton et tuba) qui lance une bordée à même d’embarquer les plus frileux. La magie opère. Le groupe insuffle même sur ce bijou une rythmique reggae qui bluffe son monde, lui conférant une couleur plus chatoyante. L’octet assure majestueusement, et surtout ingénieusement, avec une sonorisation à plaindre. Le matériel supporte apparemment très mal la puissance du batteur, les slaps fiévreux de Alune et les séquences du tuba. À part quelques voix frustrées par cette défaillance technique, la majorité du public semble saisi par le brio du groupe et sa musique.
Alune Wade sert ensuite une nouvelle composition intitulée « les Douze coups de cloche avant le départ de l’île de Gorée ». Le titre relate l’histoire transatlantique, rend hommage aux victimes de l’esclavage dans un grand ensemble, et offre une pensée « aux peuples opprimés, de Palestine, du Congo, du Sud-Soudan, et partout dans le monde ». La chanson est une complainte, qui dit son incompréhension à la cruauté de l’homme impérialiste, aux systèmes politiques et économiques prédateurs de l’humanisme.
Alune fait swinguer Ndar
La voix plaintive de Alune est le plus simplement soutenue par un synthé aérien, des tendresses des cymbales et le groove haché de sa basse. Le silence du public, entre ses ovations du début et de la fin, a solennellement accompagné la flegmatique déclamation.
Après cet épisode de peine, l’octet passe en mode joyeux festif. Il revisite ses anciens albums, notamment « Africa Fast Food » et « Sultan », particulièrement avec le somptueux titre « Saba’s Journey » avec sa teinte d’Orient. Mais c’est « Same Fufu », titre 8 de son nouvel opus, qui va décider le public à se lever et à improviser une piste de danse, au pied du podium. La première horde de joyeux danseurs supprime la distance d’une dizaine entre les musiciens et la première rangée de spectateurs, en entrainant d’autres groupes de festivaliers dans cette fosse improvisée. C’était le début de grand bal, où le public devenait aussi choriste par moments. De quoi ravir Alune Wade qui invitait quelques minutes plus tôt « à oser danser le jazz, à cesser de l’élitiser pour en tirer le meilleur parti ». Selon lui, le jazz n’est pas vraiment une musique. Le bassiste estime que c’est une culture universelle qui a certes sa source ici par les esclaves déportés, mais est allée s’enrichir et se nourrir de ses apports féconds de plusieurs civilisations et patrimoines dans le monde. C’est tout le sens de l’album « New African Orleans ».
Par Mamadou Oumar KAMARA (Envoyé spécial)