Aminata est ce qu’on appelle littéralement une «faiseuse de son» ou «créatrice de musique avec un ordinateur ». Derrière ce foulard qui la rend souvent si singulière, Myamy The AyGirl n’hésite pas à l’attacher sur ses hanches pour se mettre au travail. Cette pionnière donne tout et avance avec panache tout en apportant son style dans un univers aux préjugés tenaces.
La création musicale demande une dose de génie, de créativité et de l’audace. Il en a fallu tout cela pour que la trentenaire quitte les productions en cachette pour vivre au rythme de sa passion. Dans son univers où génie et oreille musicale ne font qu’un, la beatmaker se dévoue et se dévoile entièrement pour livrer le meilleur d’elle-même. La pionnière du beatmaking féminin compte bien faire entendre sa voix.
La balade musicale de cette beatmaker commence en 2011 avec un petit groupe de son quartier appelé Young Fresh The City. Une continuée d’un intérêt muri depuis l’enfance. Avec son groupe, ils enregistrent quelques sons à jouer lors des fêtes scolaires communément appelées Fosco. Cet art se fraie une place de choix dans son cœur. Mais elle le vit en cachette telle une passion interdite. Un amour qui s’amplifie avec ses années fac grâce à une connaissance qui tient un studio au campus.
En 2014, la trentenaire bénéficie d’une initiation au beatmaking. Elle décide de choisir entre la musique et les études. En première année de Master en sciences du langage, Aminata raccroche pour suivre sa véritable passion et sort par la même occasion son premier projet officiel, un mixtape d’instrumentaux de musique intitulé Ñambaan (mélange) Tape The Beat-Tape en 2017. La technicienne du son continue d’explorer sa créativité en enchainant d’autres formations en musique et en technique de son notamment avec Synapse Center et le Goethe Institute Sénégal. Tous les ingrédients sont réunis pour faire goûter au monde ses mélanges.
Début d’une symphonie
« Grâce aux connaissances reçues, j’ai eu à travailler avec des artistes locaux dans des projets artistiques tels que Matador, Dina, MASS, Cool 10, Karballah x Bossbeatz pour ne citer que ceux-ci», dit-elle fièrement. La mayonnaise ayant pris et persuadée d’avoir trouvé la symphonie parfaite pour son succès, l’artiste beatmaker décide de fonder sa structure Njégem’Art Group pour promouvoir les métiers du son et de la musique auprès des femmes et jeunes à travers la création musicale, la formation, le coaching.
Depuis la création de sa structure en 2022, la pionnière du beatmaking féminin au Sénégal y a également lancé un programme dénommé Stud’Dio Classroom pour dispenser des formations en Musique assistée par ordinateur (Mao). « A ce jour, j’ai initié plus de 100 jeunes hommes et femmes à travers Dakar, Saint-Louis, Kaolack et Thiès », a fait savoir la formatrice de musique assistée par ordinateur. Son programme comprend plusieurs cibles dont un programme pour les jeunes de Dakar, un autre pour les régions et un spécial 100% réservé aux femmes.
La pionnière milite pour l’implication des femmes et des jeunes filles dans le secteur technique et créatif de la musique. « Il m’était difficile de trouver une autre femme dans le milieu », dit-elle d’un brin peinée. Cela ne lui a pas fait perdre le rythme de cette passion endiablée. Mais tout comme une bonne histoire d’amour qui fait une belle chanson, Aminata a dû se heurter à quelques «ennemis». Entre volonté de faire ses preuves et autres critiques et préjugés, la technicienne voilée en a eu du fil à retordre.
Les Bémols
Le chemin de la réussite est souvent pavé d’ondes négatives. Myamy TheAyGirl a dû faire la sourde pour continuer à suivre le rythme. « J’ai eu des amis et connaissances qui m’ont fait la remarque que je ne m’en sortirais pas car je ne pourrais pas faire comme les hommes», se souvient-elle. La beatmaker voilée ne se laisse pas démonter et joue les oreilles creuses devant ceux qui qualifient ses compositions d’être « très féminines». Les réflexions du style : « tu ne vas pas trop durer là-dessus car c’est difficile pour une femme », « ça serait mieux si tu chantes » ou bien «tu ne feras pas mieux qu’un homme» sont également revenus tel un disque rayé. « Plusieurs fois, j’ai eu des questions sur l’authenticité de mes créations car beaucoup ne me voient pas capable de faire des prods. Nous aurons toujours à prouver que nous savons ce que nous faisons », dit-elle avec détachement.
Aminata alias Myamy TheAyGirl se dévoile de plus en plus sur les réseaux sociaux. Elle y montre sa façon de travailler en wolof pour guider d’autres jeunes créateurs et montrer que c’est bien elle aux commandes de la table de mixage. Celle qui travaille en freelance fréquente les studios de ses collègues ou de la Maison des cultures urbaines de Dakar. La technicienne de son écrit ses propres projets, gère également les mise en formes et travaille avec son infographiste pour les visuels. «Pour les prods, je peux travailler sur une composition, un mixage de production ou un arrangement», informe-t-elle. La voilée a «plusieurs foulards». Elle est artiste compositrice, technicienne du son, entrepreneure, formatrice et consultante. En dépit de l’implication des femmes qui est toujours très faible, Aminata alias Myamy TheAyGirl est persuadée qu’elles ont également leur partition à jouer car la musique est avant tout universelle.
Arame NDIAYE