Du 17 juillet au 17 août 2025, la 12ᵉ édition du Salon national des arts visuels a réuni artistes, institutions et public autour du thème « Regards nouveaux – Yeesaal Gis-gis ». Porté par la Galerie nationale d’art, l’événement a mis en lumière les jeunes et les femmes, au cœur de cette édition. Dans cet entretien, la directrice de la Galerie, Anne-Marie Faye Ndiaye, revient sur la portée du thème, les innovations introduites cette année ainsi que les perspectives visant à faire du Salon une vitrine de la création contemporaine sénégalaise.
Du 17 juillet au 17 août, s’est tenue la 12e édition du Salon national des arts visuels. Pourquoi le choix du thème « Regards nouveaux, Yeesaal Gis- Gis » ?
Le thème « Regards nouveaux Yeesaal Gis-gis » s’inscrit dans la continuité des réflexions amorcées lors de l’édition précédente qui avait choisi pour fil conducteur « Benn Bopp, art et cohésion sociale ». Ce dernier avait mis en lumière la capacité de l’art à rassembler, à parler un langage universel, à créer du lien et à réparer les fractures qui traversent nos sociétés. Le thème justifie aussi sa pertinence par l’esprit même du Salon qui depuis sa première édition s’est inscrit dans une optique d’offrir ce que les artistes visuels sénégalais avaient de meilleur d’un rendez-vous à l’autre. « Regards nouveaux, Yeesaal Gis- Gis » s’inscrit alors dans un contexte de l’heure qui est l’émanation de la majorité des Sénégalais de renouveler de manière systémique nos usages. Avec cette 12ᵉ édition, nous avons voulu prolonger ce dialogue, mais en élargissant l’horizon. Il ne s’agit plus seulement de rappeler le rôle fédérateur de l’art, mais de susciter un regard transformé, en prise directe avec les bouleversements actuels. « Yeesaal Gis-gis » exprime cette volonté d’ouverture : inviter les artistes à explorer de nouvelles façons de voir, à réinventer nos lectures du monde, à interroger l’identité, la modernité, l’irruption des technologies, tout en se confrontant aux grands défis contemporains du changement climatique à l’intelligence artificielle, en passant par la place incontournable des femmes dans la société, à proposer une autre offre artistique. L’art, rappelons-le, ne doit pas être perçu comme une simple décoration. Il est une manière de penser, un instrument d’action, un outil critique et créatif. Faire de « Regards nouveaux » le fil rouge de cette édition, c’est affirmer la nécessité pour la création d’entrer en résonance avec les réalités sociales, culturelles et politiques de notre époque.
Ainsi, si « Been Bopp » insistait sur l’importance de l’art comme facteur d’unité et de cohésion, « Yeesaal Gis-gis » ouvre la voie à un projet plus prospectif : inventer ensemble de nouvelles visions d’avenir et faire de l’art un véritable moteur de transformation et de renouveau social et innover dans la création.
Au-delà du nombre d’artistes et d’œuvres présentées, qu’est-ce qui, selon vous, a fait la singularité de cette édition par rapport aux précédentes ?
Contrairement à l’édition précédente centrée sur la cohésion sociale, celle-ci a ouvert un champ de réflexion tourné vers l’avenir, en confrontant les artistes aux grands enjeux de notre époque : identité, environnement, nouvelles technologies ou encore la place des femmes. La singularité de cette édition réside aussi sur le plan esthétique tout comme sur le plan scientifique, mais aussi sur le plan de la participation. Sur le plan esthétique, on a vu des œuvres de haute facture, en termes de qualité tout comme en termes de contenu en rapport avec la thématique. Sur le plan de la représentativité aussi, il faut noter que sur les quatorze régions du Sénégal, douze ont répondu à l’appel. Également, il faut souligner et se réjouir de la forte participation des jeunes artistes. En ce qui concerne l’animation scientifique, l’édition 2025 s’est largement distinguée par de grandes nouveautés. Citons d’abord la session de renforcement de capacités sur l’élaboration et la gestion de projets culturels et de suivi budgétaire qui s’est tenue du 22 au 24 juillet 2025, à la Maison de la culture Douta Seck. Cette session a profité à vingt-cinq (25) acteurs culturels issus du secteur des arts visuels et venus des régions de Thiès, Dakar, Kaolack, Sédhiou, Ziguinchor, Kaffrine et Saint-Louis. Pendant trois jours, les auditeurs se sont familiarisés avec les concepts et les techniques de montage de projets culturels en alternant les cours théoriques et les exercices pratiques.
Nous avons aussi organisé une exposition dédiée aux femmes plasticiennes avec à la clé deux prix : un de trois-millions de FCfa et un autre de deux-millions de FCfa. De plus, quatre conférences publiques ont été l’objet d’intéressants échanges au Centre culturel Blaise Senghor. Les thèmes portaient sur le marché de l’art au Sénégal, état des lieux et perspectives, les arts visuels au Sénégal, de grands défis pour les femmes, les arts visuels, identité et souveraineté et les stratégies de la valorisation des œuvres d’art à l’ère du digital.
Justement, vous l’avez souligné plus haut, quelle place ont occupé les jeunes créateurs et les femmes artistes dans cette édition ?
Durant cette édition, les jeunes créateurs et les femmes artistes ont occupé une place centrale. Leurs voix et leurs visions, portées par des œuvres audacieuses, témoignent de la vitalité de notre scène artistique. Les jeunes ont occupé une place de choix lors de cette 12e édition. Sur les 48 artistes sélectionnés pour l’exposition principale, plus de la moitié sont des jeunes venant des douze régions du Sénégal. En ce qui concerne les femmes, une exposition leur a été dédiée, elle a concerné vingt-et-une femmes et a eu lieu au Centre culturel Blaise Senghor. À travers cette exposition, le comité d’organisation voulait faire une discrimination positive et offrir aux femmes, en plus de l’exposition principale, une autre chance de s’exprimer, de se valoriser et de s’imposer dans le salon.
Le Salon est censé être une vitrine nationale des arts visuels. Avez-vous le sentiment qu’il reflète fidèlement la diversité et l’innovation de la création sénégalaise d’aujourd’hui ?
Oui, pleinement. Le Salon a su refléter la richesse et la diversité de la création sénégalaise actuelle, en réunissant des artistes issus de générations, de parcours et de disciplines variés. Les œuvres présentées ont montré, à la fois, un ancrage profond dans nos traditions et une ouverture vers l’innovation, intégrant de nouveaux médiums, des expérimentations technologiques et des thématiques en résonance avec les enjeux contemporains. C’est cette capacité à conjuguer héritage et modernité qui fait la force et l’authenticité de notre scène artistique. Sur les 14 régions du Sénégal, seules Kolda et Sédhiou n’ont pas enregistré de candidatures pour cette 12e édition. Dans le cadre de l’expo principale, 161 artistes plasticiens ont été sélectionnés, soit un taux de représentativité de 80, 01% (hommes) et 40 artistes plasticiennes (femmes) avec un taux de représentativité de (19, 09 %).Sur le plan de la répartition par techniques artistiques, cette édition a enregistré douze Sculptures, dix-sept installations, dix photographies, une céramique, une œuvre design, deux vidéos et cent-soixante-douze peintures sur toile. Aussi en se basant sur le choix des cinq lauréats (trois pour l’exposition principale et deux pour celle dédiée aux femmes), on voit que leurs œuvres répondent de manière exemplaire à l’esprit du thème en apportant un renouvellement des codes plastiques, une profondeur réflexive sur notre société et une esthétique soignée et signifiante.
Si vous deviez imaginer la 13e édition comme un « saut qualitatif », quelles innovations aimeriez-vous introduire pour hisser le Salon à un niveau encore plus élevé ?
La meilleure façon de valoriser davantage ce salon est d’arriver à impliquer plus encore les régions enclavées. Il serait heureux, par exemple, de penser à décentraliser la treizième édition en l’organisant à Ziguinchor, à Saint-Louis, à Tamba ou encore à Thiès. Il me semble aussi qu’arriver à annualiser le Salon national des arts visuels serait une façon de mieux l’enrichir et de le développer.
Entretien réalisé par Adama NDIAYE