Jeune artiste musicien, Black Kémé est un véritable ambassadeur de la culture bassari qu’il entend promouvoir et conserver. Du rap, il est passé aux rythmes tradi-modernes avec la perspective de servir musicalement son peuple et étendre le flambeau au-delà de la région.
« Le fils du caméléon » est un vivificateur de sa culture. Avec la musique, il espère promouvoir et porter son identité au-delà de ses frontières. Le choix du nom artistique, « Blak Kémé » (fils du caméléon), en dit long sur son attachement à ses origines. Totem et chef de l’ethnie bassari, le caméléon est le père de tout enfant qui passe l’initiation. « Le terme Kémé renvoie, dans notre langue, à notre chef, le caméléon. Il signifie également 500, un nom adopté et collé à mon grand-père, donc historique », explique Anthony Boubane. Ce sobriquet lui a été donné lors de son initiation. Au moment de recevoir les cadeaux suite à sa réussite des épreuves, il a été le seul de son groupe à avoir un billet de 500 FCfa à l’époque. Un nom qui lui est resté. Un choix pour immortaliser aussi son aïeul.
Le jeune artiste de 30 ans, d’un mètre 70, est né à Kédougou. Mais il s’empresse de préciser avoir « subi l’initiation et tout ce qu’il faut pour un jeune bassari ». Il en veut pour preuve sa maîtrise de la langue, parlée dans la concession familiale. Doté d’une belle voix, il mélange sonorités modernes et traditionnelles pour « défendre l’intérêt de ma communauté et de ma culture ». Pour lui, la mission est claire : « valoriser et préserver la culture bassari et ses valeurs ». Ainsi, il s’emploie, dans sa musique, à « sensibiliser la jeunesse à revenir au village, étudier auprès des sages ». Anthony Boubane est d’avis qu’il faut « aller à la modernité tout en restant ancré ».
En 2009, il crée le groupe « Bassari Flashback », monté avec des amis du même âge, à Kédougou. Les jeunes artistes réalisent qu’ils devraient chanter dans leur langue et délaissent les couplets et déclinaisons rappés en langue wolof. Les résultats sont « encourageants » et le premier single du groupe sort en 2014. Intitulé « Kanil alieu » (lève-toi et fais face aux défis en bassari), le titre est une invite à ne pas se décourager face aux difficultés de la vie. Le wolof est mixé dans le titre pour « se faire comprendre et avoir une autre audience ». Le groupe de neuf membres connaît un certain « relâchement ».
En 2016, le « Bassari Flashback » revient sur la scène avec un album de six titres. Mais la « formation et les études des membres qui n’avaient pas beaucoup de moyens, ne nous prédisposaient pas tous à continuer dans la voie musicale », note « Blak Kémé ». Il n’empêche, avec une voix de rossignol, l’artiste est convaincu de son choix musical même s’il précise avoir étudié jusqu’en terminale au lycée technique de Kédougou et suivi une formation en électricien-plomberie. Donc un métier qui lui permet de vivre. En 2021, « Blak Kémé » postule à un appel à candidature à « Sunu talent » lancé par Goethe Institute. Retenu dans la catégorie musique, il est en résidence à Ziguinchor durant une semaine. Il sort son premier single solo, accompagné d’une vidéo plébiscitée. La chanson est appréciée et aimée de tout Kédougou. Et des non-Bassaris reprennent les refrains du titre Kro-Zebna (n’abandonne pas). « J’ai été fier de voir les gens chanter avec moi durant mes spectacles, mais surtout essayer la danse du caméléon. Ma mission étant de faire la promotion de ma culture, j’étais satisfait de voir des personnes n’appartenant pas à cette culture s’approprier une partie de celle-ci. Même en ne comprenant pas la langue, les gens reprenaient la chanson ». Dans la sensibilisation, l’artiste est aussi dans la dénonciation de ces « familles qui ne parlent plus la langue ou ne retournent pas au village pour initier leurs enfants ». Pour lui, c’est une défaillance des parents. « Le bassari doit certes bouger dans ce monde et ne pas se cramponner à son passé ; mais pour autant, il se doit de garder ses valeurs vu que nous ne sommes pas nombreux au risque de voir notre culture et même notre groupe disparaître », argumente-t-il.
Le jeune homme est devenu par son engagement pour la cause bassari, un ambassadeur de cette minorité. Projeté sous les feux de la célébrité au plan régional, et même au-delà, l’artiste a choisi de rester sur place pour être un « alchimiste rituel ancré dans ma culture qui répond à la préservation de l’environnement et le bien-être physique et mental ». Il est invité dans de nombreux festivals, expositions ou panels traitant de la question des minorités ethniques.
Passionné de musique, Black Kémé a une autre dimension artistique qui l’amène à fabriquer des objets d’art dans l’accoutrement traditionnel. Il se veut actif dans la promotion de talents artistiques et dispose d’une troupe de danse traditionnelle. Sa passion de la musique lui serait venue de la chorale qu’il a fréquentée durant son enfance à Kédougou. Disposant de peu de soutiens ou sponsors, il n’hésite pas à organiser des concerts sur fonds propres, persuadé de la rentabilité de son label. Marié et père de famille, le jeune homme est catholique et en bon bassari, il assène que les « religions nous ont trouvés et, nous, nous avons trouvé l’animisme ». Ces religions révélées, dans leurs prescriptions, doivent « accompagner et appuyer », dit-il
Son plus grand souhait, c’est de connaître un plus grand succès à l’échelle nationale et internationale pour être un véritable ambassadeur de la culture bassari. Il souhaite également bâtir le Village culturel bassari qu’il appelle « Demeure du Caméléon », un projet qu’il porte depuis quelques années.
Ibrahima Khaliloullah NDIAYE