Éducateur, bâtisseur, diplomate, Arfang Bessire Sonko a marqué l’histoire du Blouf et au-delà. Héros méconnu de son vivant, il a laissé un héritage dont les fondations structurent, aujourd’hui encore, plusieurs localités du Sud du Sénégal. De l’école de Bessire aux routes coloniales, son empreinte est celle d’un homme d’État avant l’heure.
Mamadou Lamine Arfang Bessire Sonko est né vers 1860 dans le village de Bessire ou Bassire, situé dans l’actuelle commune de Kartiack, département de Bignona. Fils de Abounga Sonko et de Guigène Coly, elle-même fille du roi Kéfing de Dianki, il naît dans une lignée de pouvoir, d’influence et de tradition. Mais c’est son attachement profond à sa terre natale qui le définira le plus. « Très tôt, son amour pour son terroir natal lui vaut certainement le rajout de Bessire. L’histoire l’identifie définitivement sous l’appellation de Arfang Bessire Sonko », précise un document transmis par Sidya Sonko, oncle du Premier ministre Ousmane Sonko et président de la « Grande » association pour le développement de Bessire.
Un bâtisseur respecté de l’administration coloniale Arfang Bessire Sonko était un chef dans l’âme, plébiscité par ses pairs. C’est en 1905 qu’il est désigné chef du village de Bessire, à la suite de la démission d’Agueury Goudiay, son prédécesseur, qui avait abandonné ses fonctions après des événements malheureux. Son ascension ne s’arrête pas là. Vingt ans plus tard, en 1925, Arfang Bessire Sonko est promu chef de canton du Djigoutte-Nord. Puis, en 1938, il devient chef supérieur de province, autorité suprême sur les cantons du Djigoutte Nord et Sud, fusionnés en une entité : la province du Blouf, aujourd’hui l’arrondissement de Tendouck. Mais son engagement dépasse largement l’exercice du pouvoir.
Il s’affirme comme un bâtisseur inlassable, un homme de paix, un éducateur convaincu et un médiateur social, à une époque où la Casamance était encore sous le règne de l’administration coloniale et marquée par des conflits intercommunautaires, avec une absence criante d’infrastructures. Reconnu pour sa rigueur et son sens de l’organisation, Arfang Bessire Sonko gagne le respect des autorités coloniales. En 1938, il est élevé au rang de Chevalier de la Légion d’honneur française, après avoir été déjà décoré Chevalier du Nicham Iftikar, Chevalier du Nicham Elanoir, Chevalier de l’Étoile d’Anjouan et Chevalier de l’Étoile du Bénin. Son apport au développement du territoire est immense.
Il contribue activement à la réalisation de plusieurs pistes de production : Kartiack-Bignona, Bignona-Marsassoum, Bignona-Sindian, et la très stratégique Tobor-Ziguinchor, tracée dans une zone marécageuse qui deviendra plus tard la route nationale n°4. À Bessire, il fait aménager un quai baptisé « Haafa », qui permettait de charger des milliers de tonnes de riz produits localement et destinés à la France, via les chalands au profit des Tirailleurs sénégalais, pendant la Seconde Guerre mondiale. Arfang Bessire, c’est aussi un éducateur obstiné.
L’école était inscrite au cœur de ses priorités. Mais son œuvre la plus symbolique reste sans doute la création de l’école de Bessire en 1927, fonctionnelle en décembre 1930. Face à une proposition financière des colons, il préfère refuser l’argent et revendique la création d’une école. « Arfang Bessire Sonko était un grand chef de canton. Il a été à l’origine de la création de notre école. C’est la récompense qu’il avait demandée à l’administration coloniale. Cette école accueillait, dans un premier temps, tous les élèves de la zone. Beaucoup de nos cadres, tels que Youba Sambou (ancien ministre des Forces armées sous le régime d’Abdoulaye Wade), ont étudié», raconte Oumar Bodian, habitant de Bessire.
Homme de paix et figure controversée « Les toubabs lui avaient proposé de l’argent à la place de l’école. Mais il avait dit non. Il a préféré la création de l’école pour scolariser les enfants de la province. L’ancien chef de canton est également à l’origine de la construction du tronçon Tobor-Ziguinchor », ajoute le frère cadet du chef de village actuel, Alioune Bodian. « Il n’hésitait pas à corriger les parents qui refusaient d’envoyer leurs enfants à l’école française. Les gens pensaient qu’il était méchant. Mais c’était un héros. Et c’est après sa mort que les gens ont compris que c’était un grand visionnaire », conclut Oumar Bodian.
Dans une zone où les tensions entre villages étaient fréquentes, Arfang Bessire Sonko a su imposer le dialogue. Il a favorisé les mariages mixtes entre ethnies (Wolofs, Peuls, Mandingues, Sarakholés, etc.), dans un souci d’unité provinciale. Chaque année, il organisait des séances de lutte intercommunautaire, devenues de grands moments de cohésion sociale. Il est aussi l’artisan d’une politique hydraulique locale avant la lettre, creusant des puits à travers toute la province. Le plus célèbre reste celui de Diégoune.
Dans le domaine agricole, il encouragea les cultures vivrières comme le riz, mais celles de la rente également, en particulier l’arachide, et fit construire des seccos pour stocker et commercialiser les productions. Peint comme un homme discret et d’action, Arfang Bessire Sonko décède le lundi 28 février 1955 à 17 heures, à l’hôpital « Silence » de Ziguinchor. Il sera inhumé le jour même, conformément à ses dernières volontés, dans la plus grande discrétion, au sein de la maison familiale. Sept décennies après sa mort, le nom d’Arfang Bessire Sonko continue de résonner dans la mémoire des populations du Blouf et de la Casamance.
De nombreux villages lui doivent des routes, des écoles, des infrastructures essentielles. Son esprit visionnaire inspire encore. Et comme le dit Oumar Bodian, avec émotion, « c’est après sa mort qu’on s’est rendu compte de la grandeur de l’homme. Il a bâti une province entière, sans rien demander en retour ». Dans le Blouf, Arfang Bessire Sonko, figure controversée aux yeux de certains, continue d’être ce legs vivant.
Gaustin DIATTA, Seydou KA (textes) et Ndèye Seyni SAMB (photos)