Dans le delta du Saloum, plus spécifiquement à Foundiougne, les pirogues artisanales sont embellies avec des dessins multiformes. Arfang Sarr, natif du village Thiallane, est l’un des «magiciens» qui habillent de ses fresques ces embarcations. Au bord de l’eau, il laisse libre court à un talent inné.
FATICK – Un matin sur les berges du fleuve qui héberge le village de Thiallane, dans le département de Foundiougne, à côté d’une pirogue, Arfang Sarr laisse libre court à son inspiration, avec une grande originalité. De ses exploits naissent des figures de diverses formes, qui participent à donner aux barques une autre allure. Un métier en vogue dans les îles du Saloum (Foundiougne), et généralement dans toutes les localités où la pêche est une activité très prisée.
Ce travail esthétique, très répandu en milieu Niominka (sérères pêcheurs du delta du Saloum), remonte à une date lointaine, souligne Arfang Sarr, quand on lui demande de faire l’historique de son travail.
Devant une pirogue longue d’à peu près 10 mètres, il est à l’œuvre, le matériel de travail à ses côtés. La casquette bien vissée, il se lance dans l’embellissement de l’embarcation. Le temps lui est favorable. La fraîcheur adoucit les rayons du soleil. De Ndangane Sambou, à Thiallane, en passant par les autres localités des îles du Saloum, et même en Gambie, le jeune marié et père de quatre enfants propose ses services.
Crayon et règle à la main, il trace des figures sur la petite embarcation fixée sur l’une des rivages du village de Thiallane. Avec beaucoup de délicatesse, il y applique des images et des formes abstraites. La rigueur et l’attention qui accompagnent ces figurines prouvent tout le talent, et la passion de l’homme. «Arfang est un artiste confirmé. Je pense humblement qu’il fait partie des meilleurs embellisseurs de pirogues dans les îles du Saloum. Il satisfait toujours ses clients», témoigne Ousmane Thior, un propriétaire de pirogue.
La pratique peut expliquer cet état de fait. En effet, souligne Arfang Sarr, «j’ai commencé à dessiner depuis 2004. Mais, jusque-là, jamais un client n’est venu se plaindre», lance-t-il.
Un métier du cœur
Pour arriver à ces réalisations bien appréciées de tous, Arfang s’est tué à la tâche. «C’est le prix à payer, surtout que la concurrence est rude dans ce milieu», avoue le dessinateur. Sa passion illimitée se reflète dès qu’on l’interroge sur son métier. Sourire aux lèvres, le natif de Thiallane dit «être tellement amoureux de ce métier qu’il va toujours au boulot en sifflotant de bonheur».
Bien qu’il soit pêcheur avec en sa possession, une pirogue, Arfang ne compte pas laisser son talent tomber à l’eau. Son souhait, c’est de se concentrer définitivement aux graffitis qu’il faits sur les bateaux. À l’en croire, depuis qu’il a commencé son art en 2004, il ne reproduit jamais les mêmes dessins. Autrement dit, le style change selon son humeur. Et pourtant, ce savoir-faire, il le tient du néant. En d’autres termes, il n’a suivi aucune formation en art durant sa vie. D’ailleurs, il s’est arrêté en classe de Cm2.
Dans ses dessins, on voit, entre autres, des drapeaux de différentes nations, des animaux, des figures géométriques, des logos de clubs et surtout de l’art abstrait. L’inspiration lui vient aussi de la nature : ailes d’oiseaux, têtes de dragons, serpents… Comme il le fait savoir, tout lui parle. «Je peux même trouver de l’inspiration dans la rue, sur les papiers, sur des objets, etc.», avance Arfang Sarr.
Un homme bienveillant
Il gagne de l’argent avec ses dessins, mais pas tout le temps. Il lui arrive, à l’en croire, de travailler gratuitement juste pour aider. Cependant, pour le service payant, «le prix dépend de la taille de la pirogue à décorer». Pour une barque de 10 mètres, le client doit débourser 15.000 FCfa. Pour une embarcation de 14 m, c’est 25.000 FCfa, tandis que 50.000 FCfa sont nécessaires pour les pirogues de 20 mètres», a confié Arfang Sarr, précisant tout de même qu’il lui arrive de travailler le plus souvent sans rien attendre en retour.
D’un comportement serein, avec beaucoup de simplicité dans sa démarche, Arfang Sarr, qui a vu le jour en 1985, aime rappeler que son métier lui sert souvent de moyen pour promouvoir l’entraide entre les villageois de Thiallane.
Même s’il parvient à avoir des ressources avec ce travail, le plus important, selon lui, est «d’aider l’autre et de faire preuve d’altruisme dans un monde où les gens ne pensent qu’à l’argent».
El Hadji Fodé SARR (Correspondant)