À l’occasion du 12e Salon national des arts visuels (17 juillet – 17 août 2025), la Galerie nationale d’art a tenu, mercredi 6 août, sa troisième conférence publique au Centre culturel régional Blaise Senghor, sur le thème : « Les stratégies de la valorisation des œuvres d’art à l’ère du digital ». Durant le panel, deux figures de l’écosystème artistique, Aïssatou Diop et Oumy Diaw, ont dressé un état des lieux lucide et engagé sur les enjeux de la valorisation des œuvres à l’ère du digital.
Loin d’être un simple outil de communication, le numérique s’impose désormais comme un levier incontournable dans tous les domaines de la vie, notamment dans la construction des carrières artistiques. C’est le message porté par Aïssatou Diop, médiatrice culturelle et commissaire d’exposition et Oumy Diaw, à l’occasion de la troisième conférence publique « Les stratégies de la valorisation des œuvres d’art à l’ère du digital », dans le cadre du 12e Salon national des arts visuels (17 juillet – 17 août 2025). L’évènement a eu lieu mercredi 6 août au Centre culturel régional Blaise Senghor.
Selon les deux panélistes, le numérique n’est plus une option dans l’univers artistique, mais une réalité structurante. S’il ouvre des horizons inédits de visibilité, de création et de vente, il exige également rigueur, stratégie et accompagnement. C’est pourquoi elles appellent à une approche écosystémique et à une vigilance accrue : celle d’un art plus connecté, mais aussi plus conscient. Pour Aïssatou Diop, il ne s’agit pas simplement d’être présent sur les réseaux sociaux, mais d’assumer pleinement son époque : « Je ne dis pas que l’artiste doit forcément être présent sur les réseaux sociaux pour s’en sortir, mais je dis qu’il faut vivre à l’ère de son temps. »
Le digital, une exigence contemporaine pour les artistes À ses yeux, Instagram ou Facebook deviennent les vitrines d’un portfolio numérique, notamment pour ceux qui n’ont pas les moyens de se doter d’un site professionnel. « Dans les rencontres professionnelles, la première chose qu’on vous demande, c’est : Quel est votre compte Instagram ? », fait-elle remarquer, soulignant ainsi la nouvelle norme de visibilité. Mais l’intégration du digital ne se limite pas à l’exposition. Dans sa prise de parole, Aïssatou Diop a plaidé pour une synergie entre l’artiste et d’autres professionnels : community manager, photographe, attaché de presse, juriste, entre autres, afin d’orchestrer efficacement la communication, la documentation, la valorisation et la protection du travail. « Ce n’est pas une question de moyens. Il s’agit d’avoir une approche organisée, collaborative, dans un climat de confiance », a-t-elle insisté.
L’autre enjeu, c’est l’intelligence artificielle (Ia). Loin de la rejeter, Aïssatou Diop appelle à l’apprivoiser : « L’artiste a beaucoup à gagner à l’intégrer dans son travail. Il ne s’agit pas d’abandonner ce qu’il fait déjà, mais de l’utiliser pour aller plus vite, pour être plus performant. » Selon elle, ignorer ces outils reviendrait à se marginaliser : « Il faut qu’on puisse l’intégrer dans notre travail de tous les jours, pour ne pas être des analphabètes du digital. » Face à l’essor du numérique, les questions de droit et de protection des œuvres deviennent plus que jamais cruciales.
Mais Aïssatou Diop alerte sur les dangers liés à une acceptation passive des conditions d’utilisation des plateformes numériques : « Chaque fois qu’on ouvre un réseau social, il y a ce long texte : les conditions d’utilisation et on clique sur « Accepter » sans lire. » Ce geste banal, a-t-elle averti, peut avoir des conséquences majeures, notamment à l’ère de l’Ia, où une image ou une voix peuvent être réutilisées sans consentement. D’où l’importance de faire appel à des professionnels du droit ou de s’entourer de personnes compétentes. Valoriser sans se fragiliser Un message que partage pleinement Oumy Diaw, spécialiste de l’art contemporain et du luxe, également panéliste.
Pour elle, le numérique est une formidable vitrine mais doit être abordé avec stratégie : « La valorisation des œuvres dépend à qui elle s’adresse ; artiste, galeriste, institution et aussi du territoire. » En ce sens, elle recommande aux artistes de ne pas tout dévoiler de leur création. « Par exemple, vous pouvez photographier une partie seulement de l’œuvre, créer un clin d’œil pour susciter l’intérêt sans tout exposer », a-t-elle exhorté. Consciente que tous les artistes ne disposent pas des ressources pour s’offrir les services d’un avocat, Oumy Diaw invite également à explorer des solutions alternatives, comme les échanges de services : « Il existe des avocats spécialisés en art contemporain. Et vous pouvez même faire un échange de marchandises. »
Elle conseille aussi de se rapprocher de la Société sénégalaise du droit d’auteur et droits voisins (Sodav), dont le rôle dans la protection des droits d’auteur au Sénégal est central. Poursuivant, elle a rappelé que la méconnaissance des outils numériques peut être un frein à la carrière artistique. « Quand vous ne connaissez pas un terrain, et que vous n’avez pas les armes pour vous défendre, vous essayez seulement de limiter la casse », a-t-elle fait savoir.
Adama NDIAYE