Il s’agira aujourd’hui d’art-thérapie. En Occident, elle est souvent admise dans sa valeur strictement scientifique ; définie comme un accompagnement thérapeutique à travers la création artistique. En Amérique du Nord, c’est principalement au moyen des arts visuels, tandis qu’en Europe, le menu s’élargit : musique (musicothérapie), théâtre, danse, entre autres spectacles vivants. Cela se rapproche mieux de nos réalités africaines, avec le recours à des moyens souvent perçus comme folkloriques mais renfermant des bienfaits capables de panser l’âme autant que le corps.
Nous allons évoquer la méthode, voire l’école instituée par Pr Henry Collomb, psychanalyste agrégé en neuropsychiatrie, ancien chef du Département psychiatrie du CHU Fann. Après son arrivée à Dakar à la fin des années 1950, le psychiatre avait réussi sa mission de fracturer « la conception qui voulait réduire le psychique à quelque chose de médical », tel qu’il s’en explique à la page 26 du livre « Psyché, L’Histoire de la sensibilité » de Hubert Fichte. En intégrant le « ndëpp » dans sa thérapie, avec « Pencum Fann », il l’entendait comme un rite de réintégration, de désenvoûtement et de renaissance. Car le malade mental est considéré comme désengagé de sa tradition, de sa famille, donc de sa culture, suite aux assauts de « rab ».
Mais en toile de fond (et même dans la forme), c’est tout en art que c’est servi. Le « ndëpp », rite sacré lébou, est une cérémonie d’exorcisme au rythme de battements de tambours, de chants et de danse.
Au-delà de son univers mystique, sa couverture et ses secousses sont purement artistiques. La musique notamment. L’ingénieur de son et producteur Pape Armand Boye, sur sa page Facebook, offre des exemples qui peuvent s’y rapporter, à travers deux vidéos. Sur la première, il expose le rapport du plaisir à la douleur dans la production musicale. Il explique comment, dans la composition, la musique agit sur la neurobiologie pour guérir les peines et colorer tout un réseau d’émotions. Le diptyque texte/mélodie refuse pourtant le déni de la réalité, et aide l’auditeur à se détacher de sa souffrance. Pour l’illustration, il présente le titre « Adou Calpé » d’Ismael Lô (Version opus « Diawar »). Pour l’autre, il choisit « Bamako » de Youssou N’Dour pour établir l’écriture qui pénètre la sensibilité de l’auditeur. Pape Armand dénote l’importance du refrain et du chœur, encore sous l’aspect neurobiologique. Il a été découvert l’ocytocine, l’hormone de l’amour ou de la confiance. Quand un groupe chante en chœur, cette hormone se déclenche chez les individus. Lorsque ce chorus se répète dans notre conscience, il nous attache à la chanson pour la relier à un vécu. Ce, engendrant inéluctablement un sentiment bienfaisant et rédempteur, par l’amour et la confiance suscités. Abdoul Edouard Dia évoque la musicothérapie dans son livre « Hermès T., ou l’ultime secret d’Akhenaton », avec Thierno Hill qui sort progressivement de son coma au son de douces mélodies de son enfance. La musicothérapie, aujourd’hui en plein progrès, s’impose comme un levier de soin, capable d’apaiser les troubles psychoaffectifs, les déséquilibres comportementaux et les dérèglements sensoriels. Comme avec Thierno Hill, la musique en résonance avec son histoire, réanime ses sens et assure sa santé mentale. Elle ne se contente pas de soigner, elle ramène à la (belle) vie. Le « xalam » est d’une nature et d’une capacité fabuleuse, par sa constitution d’abord. Peau de chèvre morte pour sa couverture, la carcasse faite de bois mort et cinq cordes à partir de queues de bêtes mortes. On y ajoute également les ongles, peaux mortes, utilisés comme médiators de cette guitare traditionnelle. Tous éléments morts, pour constituer un instrument musical qui dialogue avec l’humain, donc prend vie, et ravive même le cœur meurtri. On prête cette réflexion souvent à Serigne Mansour Sy Balkhawmi (père de l’actuel Khalif des Tidjanes, Serigne Babacar Sy Mansour), et parfois à son petit frère Serigne Abdou Aziz Sy Dabakh. Toujours est-il qu’elle est d’une vérité certaine et est spirituellement chargée de sens. Un superbe moyen de guérir l’âme au-delà du corps. (Vous aurez remarqué que nous ne statuons nulle part sur la licéité de la musique. Nous ne disons pas qu’elle est halal, ni qu’elle est haram. Juste célébrer sa puissance agissante sur le corps et l’âme).
Par Mamadou Oumar Kamara
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