Mad Pixel est un artiste multidimensionnel, un touche-à-tout. Il fait partie des 58 artistes de l’exposition internationale de la 15e Biennale de l’Art africain contemporain de Dakar (7 novembre-7 décembre). La particularité de Mad réside dans sa conception universaliste de l’art et de la production de sens. Il propose une palette de récits particuliers et nuancés. Modou Anta Diongue (Mad) expose une philosophie de l’art qui réside dans la réinvention du monde et la poétique de la résonnance.
Vingt fois sur le métier, il remet l’ouvrage. Polir, repolir, ajouter souvent, retrancher quelque part est son travail de tous les jours. Mad Pixel est une flamme incan- descente qui irradie l’ombre dans laquelle se fourvoie l’art. Sa pas- sion débordante pour la création invite à s’interroger sur sa rela- tion avec l’art. Qui aime l’autre? Ils constituent un paso doble in- séparable. Modou Anta Diongue est inqualifiable. Couvé par une ombre d’insaisissabilité, sa per- sonnalité singulière dessine les contours de l’iconoclasme qui est le point nodal de sa vie. Chez Mad, tout est sujet à caution. Modou Anta Diongue est un « gangster » de l’art, comme il se dé- signe. Toujours préoccupée par la production de sens, sa posture renvoie à Thales de Millet, tel que Platon le décrit dans le Théétète. Un homme singulier, dont le vécu caractérisé par un « complot de hasards», a fini par devenir une figure rayonnante de l’art contem- porain sénégalais. Son silence mordant est un halo de brume qui nimbe sa sympathie. Sa che- velure ébouriffée, son accoutre- ment simple et parfois suranné et sa démarche légèrement lou- voyante comme au jeu du slalom sont les empreintes de sa pos- ture. Mad Pixel est un « philo- sophe sans maître», à l’image de Hay ibn Yaqzan. Cet artiste est à la fois peintre, dessinateur, mo- tion designer, réalisateur de films, entre autres. Il valse, sans risque de se perdre, entre plusieurs arts avec la même énergie créatrice.
Modou Anta Diongue est entré dans l’art par effraction, même s’il est né avec le talent de peindre le monde à travers ses pers- pectives personnelles. Ce natif de Sicap Baobab était destiné à suivre les pas de ses grands-pa- rents, qui sont des érudits de l’Is- lam. « À l’âge où je devais aller à l’école française, mes parents ont décidé de m’envoyer à l’école co- ranique, pour pousser cette voie et par la suite étudier les sciences islamiques.
Un artiste-né
À ce moment, tous mes frères et sœurs allaient à l’école déjà. Mais, j’ai toujours dessiné. J’em- pruntais des crayons ou des sty- los pour dessiner sur du papier ou sur les murs de la maison. Ce désir de m’exprimer à travers les formes ne m’a jamais quitté pen- dant toute mon enfance », ex- plique Mad, comme l’appelle ses proches amis. Avachi sur un fau- teuil, ses yeux scrutent le plafond comme pour chercher ses mots. Il renchérit : « Pendant que j’étais à l’école coranique, je trouvais tout le temps un moyen de des- siner. Je glissais mes dessins entre les pages du Coran et je me remettais à dessiner pendant que le maître était occupé à faire autre chose », se souvient-il avec un sourire aux coins des commis- sures, comme pour matérialiser une profonde nostalgie de ce temps du « daara ». Après quelques années, il revient chez ses parents et retrouve une autre manière de vivre. «Je prenais de l’âge, parce que j’avais 14 ans. À ce moment-là, je ressentais que j’avais besoin d’apprendre à lire, à écrire et communiquer avec les gens. J’avais d’emblée choisi d’être artiste même si mes pa ents avaient voulu m’orienter vers la menuiserie, la mécanique, etc. Mais, c’était clair dans ma tête que je voulais devenir artiste », confesse Mad, d’un brin nos- talgique. Il est finalement devenu cet artiste ô combien respecté par ses pairs qui l’ont vu progresser dans la rigueur et la constance. Dans son art, il est comme une vigie sur un nid-de-pie. Il ne laisse rien passer sous ses yeux. Mad Pixel explore les vastes es- paces du réel et les féconde avec la magie de son art. Il a presque appris seul. Animé par un désir ardent de saisir l’essence même des choses, il s’est trituré les mé- ninges à nul autre pareil. « J’ai appris les rudiments de l’art plas- tique avec un artiste-peintre du nom de Moussa Mballo. Il est fi- nalement allé s’installer en France, au bout de quelque temps. Je n’ai pas pu parachever ma formation. Je me suis re- trouvé seul et j’ai commencé à ré- fléchir pour repartir sur de nou- velles bases et me forger seul. J’avais à peine 16 ans quand les gens faisaient appel à moi pour des dessins sur des salons de coiffure, etc. », confie-t-il avec un de ses airs de jeune-vieillard. Cet artiste pluridisciplinaire a égale- ment appris à lire à travers les bandes dessinées. C’est ainsi qu’il apprit le français grâce aux illus- trations et à ses frères et sœurs qui l’aidaient à traduire certaines phrases. De fil en aiguille, ce tren- tenaire est arrivé à lire, écrire et parler convenablement.
En 2004, Mad découvre l’in- formatique à travers l’ordina- teur de son grand frère infor- maticien qui l’a initié. « Avec Internet, j’ai trouvé un moyen de transposer ce que je faisais déjà. Je cherchais des logiciels pour dessiner et regarder des tutoriels pour aiguiser mon sa- voir-faire. C’est comme ça que j’ai découvert l’infographie et j’en ai fait un moyen pour ga- gner ma vie», informe-t-il.
En 2011, Mad Pixel entre en agence de publicité et se fait une grande réputation dans la créa- tion et l’innovation. Il passe de poste d’illustrateur, chef de projet à directeur artistique.
Comme une étoile qui brille au firmament
Pour son rayonnement artis-tique, Mad n’a pas attendu Godot. Avec toute l’expérience qu’il a en- grangée et sa notoriété culturelle glanée pendant des années, il brille comme Sirius. Son désir le plus culminant étant d’être réa- lisateur en cinéma, il a décidé de se replier sur lui-même et de construire son propre univers. Épris de liberté, il met en œuvre son entreprise Pixels Squad en 2019. Dans cet univers entrepre- neurial, Mad a aussi façonné de jeunes artistes, qui sont devenus des figures connues dans l’éco- système musical sénégalais. « Dans ce milieu, je me suis engagé avec des Organisations non gou- vernementales (Ong) pour réaliser des documentaires institution- nels, mais aussi avec des artistes pour la réalisation de clips, etc. », explique l’artiste.
Mad Pixel est le réalisateur du fameux clip «Nightmare» de Dip Doundou Guiss, en sus de réali- ser quelques clips de Samba Peuzzi et la direction artistique de l’album « Dibéer » de Ash the Best, entre autres projets. Dans ce domaine, Mad est loin d’être une chouette de Minerve qui prend son envol qu’à l’orée du crépuscule, c’est un rossignol des murailles qui se lève tôt pour
mener le chœur de l’aube. Le seul bémol qu’il trouve dans cette voie est l’absence d’un marché d’art permanent. « La réalité du milieu est particulière, car l’État ne sub- ventionne pas les artistes. Cette situation m’a poussé à réactiver mon côté peintre. Sur ces œu- vres, je peux au moins exprimer une vision originale. C’est de là qu’est venue l’idée de croiser la peinture et les images qui bou- gent (l’animation). C’est ce que je veux poursuivre et la réalisation de films », avance-t-il, sûr de ce qu’il veut, tout en égrenant son chapelet, pendant que la musique de Nina Simone emplit le salon.
Mad pixel se dit fier de ses réa- lisations même s’il pense qu’il lui reste encore du chemin. Sa bande d’amis reconnaît en lui une per- sonne humble, jusqu’au-boutiste et maximaliste. Il est tout au plus habité par cette mansuétude des grands artistes. C’est aussi un cordon bleu qui invite souvent ses amis autour d’un mets avec sa fameuse phrase « Tay maay duggu waañ» (c’est moi qui cui- sine aujourd’hui). Dans ce pano- rama de manières d’être imbu dans l’éthique de la relation, il continue à se chercher dans la variété des systèmes pour com- bler les vacuums de l’espace ar- tistique dans lequel il évolue.
L’art comme éthique de la relation
Mad n’est pas un partisan de «l’art pour l’art». Sa conception artistique s’inscrit dans la mé- taphysique du beau. Il part des objets sensibles pour interroger les essences, établissant ainsi une sorte de dialectique ascen- dante. Cette élévation intellec- tuelle dans son art le démarque des perroquets qui répètent et des singes qui imitent. Son film intitulé «Temps et Mouvement» qui s’inscrit dans cette tradition artistique est sélectionné pour la 14e édition de la Biennale de l’art africain contemporain de Dakar. « C’est une réflexion sur l’indi- vidu, le rapport que l’on entre- tient avec soi. C’est plus une in- terrogation sur la réalité primordiale, qui est illimitée. J’ai écrit ce film au moment où moi- même je passais une crise iden- titaire », confie-t-il. Pour Mad Pixel, la culture est le ciment de l’esprit et la nourriture de l’âme.
Ce tableau idéologique qu’il dé- cline est le fil d’Ariane de son identité intellectuelle. «Je ne me considère pas comme quelqu’un de très structuré intellectuelle- ment, mais j’ai assimilé beaucoup de choses et des situations dans le réel les font ressortir sponta- nément. Je me suis engagé dans cette voie de transformation in- térieure et de réflexion constante », conçoit-il, avec la sagesse des anciens. Le « gangster de l’art » est un féru de sport urbain comme le skate qu’il a pratiqué pendant un bout de temps. Les livres, ils les dévorent. Nourri par cette envie de tout explorer à la Gar- gantua, Mad ne cesse de briller et des proposer des œuvres qui tueraient toutes les autres, effa- çant celles qui les ont précédées et dissuadant celles qui seraient tentées de naître, comme aurait dit Mbougar.