Reconnu pour son bouillonnement, le milieu de la création sénégalaise se retrouve aujourd’hui face à une révolution silencieuse, soufflée par l’intelligence artificielle. Cependant, si certains artistes ont déjà pris place dans le train de l’IA, d’autres, plus prudents, préfèrent encore attendre sur le quai avant d’embarquer.
Au Sénégal, comme partout ailleurs, une révolution silencieuse envahit les ateliers et les studios de production. Mariage de l’humain et de l’algorithme, l’Intelligence artificielle (Ia) est en train d’étendre ses tentacules. Ce basculement vers un univers qui repousse les limites de l’impossible suscite à la fois de l’enthousiasme et des interrogations. Mais depuis Homère, l’artiste qui a chanté l’aube de l’humanité, le monde évolue sans arrêt.
Les hommes sont condamnés à s’adapter à cette évolution constante. Les artistes qui se servent aujourd’hui de l’Ia expliquent leur choix par la nécessité de suivre la cadence de leur époque. Preuve de ce bouleversement dans le secteur de la création, en février dernier, le rappeur Dip Doundou Guiss a sorti son clip « Thiaroye 44 » réalisé à l’aide de l’Ia pour enrichir la narration sonore et visuelle de son œuvre sur l’histoire tragique des tirailleurs sénégalais. Cet opus a constitué un grand pas vers un bouleversement qui gagne peu à peu la musique sénégalaise, l’univers de la création de manière générale.
Conçue grâce à des outils d’Ia, cette production a d’ailleurs remporté la 3e place au World AI Film Festival, se distinguant comme le seul projet africain en compétition parmi les 1.500 œuvres sélectionnées. « J’utilise l’intelligence artificielle dans mon travail depuis maintenant deux ans. En tant que musicien et chef d’orchestre du groupe Oriazul, j’ai commencé à intégrer ces outils dans différents aspects de ma production musicale. Principalement, je m’en sers pour le traitement du son, la masterisation, et parfois même dans le processus de composition », déclare Daniel Gomes, artiste-musicien et président de l’Association des métiers de la Musique au Sénégal (Ams).
Selon lui, l’intelligence artificielle représente un formidable outil d’optimisation pour l’artiste. Elle permet d’améliorer son efficacité et sa productivité, en accélérant des tâches techniques autrefois chronophages comme l’égalisation ou le mixage. « Loin de remplacer la créativité ou la sensibilité artistique, l’Ia agit comme un assistant qui vous libère du temps précieux. Ce gain de temps vous permet de vous consacrer davantage à l’essence de votre art : la création. En somme, elle offre un excellent retour sur investissement en améliorant votre flux de travail », laisse entendre M. Gomes.
Outil incontournable Pionnier du graffiti sur le continent et l’une des figures les plus emblématiques de cette discipline à travers le monde, Docta n’a pas tardé à se mettre au diapason de cette révolution. « Parfois, on utilise l’Ia dans nos projets de la même manière qu’on utilise l’univers virtuel pour certains croquis. Il existe des applications qui permettent d’utiliser le virtuel afin de tracer des croquis. On commence par dessiner à main levée, puis on les importe dans l’application », explique-t-il. Amadou Lamine Ngom à l’état civil, Docta conçoit l’Ia comme un simple outil dans le monde artistique, que l’on peut utiliser pour s’exprimer, à l’image d’une bombe de peinture. « L’évolution de ce monde fait qu’on doit utiliser les outils qu’il nous présente à notre avantage », relève le graffeur.
Pour Thierno Diagne Bâ, expert audiovisuel, gestionnaire des industries culturelles, l’intelligence artificielle est en train de bousculer l’industrie créative, de la création à la production, en passant par la diffusion. « Dans le milieu du cinéma, l’Ia permet aux scénaristes de gagner du temps et d’aller plus vite dans la construction de leurs scénarios. Dans le domaine des arts visuels, elle peut aider à proposer des couleurs et à corriger des croquis », souligne-t-il. Dans le domaine du cinéma, l’Ia est devenue presque incontournable. « L’intelligence artificielle nous met même des œillères dans l’analyse des films pour déceler nos besoins. Toute la chaîne de la culture est aujourd’hui bousculée par l’Ia », avance M. Bâ.
Hussein Dembel Sow, réalisateur et scénariste, fait lui aussi partie de ceux qui considèrent aujourd’hui l’Ia comme « un outil incontournable dans le domaine de la création ». De son point vu, des Ia comme Google Veo3 génèrent des vidéos à partir de texte ; d’autres créent des images (Midjourney) ou de la musique. Elles peuvent aussi aider à écrire un scénario en quelques secondes. « L’intelligence artificielle présente l’avantage de réduire les coûts et les délais de production, permettant ainsi la création d’œuvres plus ambitieuses », indique-t-il. Seulement, rappelle l’auteur du clip « Thiaroye 44 », première vidéo sénégalaise cent pour cent Ia, dans notre pays, l’accès à un internet rapide et à du matériel informatique performant reste un obstacle majeur, tout comme le manque de formation.
Ibrahima BA