Rappeur, poète et professeur de mathématiques, Cheikh Tidiane Diop, alias Diamant Noir, conjugue rigueur et révolte. Entre équations et punchlines, il trace une trajectoire singulière où le verbe enseigne autant qu’il libère. Son dernier clip, « Chaque mot, une brique », sorti récemment, érige le verbe en outil de libération.
Chez lui, le rap est une équation à plusieurs inconnues. Les vers deviennent des suites numériques, géométriques ou arithmétiques, peu importe la forme, du moment qu’ils traduisent une pensée. Lui, c’est Cheikh Tidiane Diop, alias Ctd ou Diamant Noir. Pour lui, dans la vie, on a toujours le choix. Et si chaque chose a une limite, lui ne s’en fixe aucune. Il allie et réussit ce que d’autres croient inconciliable : les mathématiques et le rap, avec la même exigence. A l’en croire, les maths prouvent que l’impossible commence là où l’on cesse de faire des efforts. Évident pour un mathématicien dans la mesure où même la limite, quand x tend vers l’infini, peut être zéro. La géométrie du flow Des intégrales aux dérivées, en passant par les nombres complexes ou les statistiques, Ctd voit partout des analogies entre équations et mots.
Et lorsqu’il fait la somme de ces formules, il trouve le rap. « Je comprends que cela puisse surprendre, mais pour moi, ces deux rôles ne sont pas opposés. Ils sont même profondément complémentaires », explique-t-il. Le point commun ? La langue, le rythme, la transmission : « Le rap m’aide à être un prof plus authentique, plus ancré dans la réalité de mes élèves. Et l’enseignement me donne une rigueur intellectuelle qui nourrit mon écriture. » Ctd est un artiste atypique. Professeur de mathématiques en France, il incarne une parole qui unit la précision du savoir à la puissance du verbe. Pour lui, l’enseignement et le rap ne sont pas deux mondes parallèles : ce sont deux déclinaisons d’une même vocation. Derrière le micro comme devant un tableau, tout part du langage. Il construit, déconstruit, élève. « Ce n’est pas nouveau. Pythagore voyait déjà dans les mathématiques une clé pour comprendre la musique. Moi, je travaille dans cette continuité entre rythme et rigueur, entre poésie et logique », confie l’artiste. Ctd est un bâtisseur de vérité et un chroniqueur des luttes de notre époque. À travers chaque rime, chaque ligne, il cherche à briser les chaînes invisibles, réveiller les consciences, et construire des ponts entre le passé, le présent et l’avenir. En tant qu’enseignant, il transmet des savoirs, stimule l’esprit critique et encourage la créativité : « Mon objectif est de donner aux élèves les outils pour comprendre le monde et y trouver leur place. »
Cependant, en tant que rappeur, il questionne, ressent et s’exprime librement : « Le rap, c’est aussi une forme d’enseignement émotionnel, culturel, social. C’est une parole vivante, incarnée, qui touche souvent des jeunes qu’on ne capte pas toujours en classe. » Et de lancer un appel : « Je crois qu’il est essentiel de montrer qu’on peut être pluriel. Qu’on peut aimer les maths et avoir une passion. C’est un message fort pour les jeunes : vos passions ne vous enferment pas, elles vous construisent. » Ctd est un flow qui déconstruit les codes. Chaque mot, une brique, son nouveau clip, fait déjà parler de lui au Sénégal comme en France. C’est un morceau fort, où chaque texte devient un outil de construction individuelle et collective. Entre mémoire, révolte et poésie, il rend justice à ceux qu’on a voulu faire taire. « J’écris des vérités que personne n’ose voir. Ma plume danse sous les larmes d’un soir et chaque être Noir porte en lui un rêve assassiné », lance-t-il dès l’ouverture. Diamant Noir, un pseudonyme comme une revendication « Originaire d’un monde où le chaos côtoie l’espoir, ma plume est mon arme et chaque mot que j’écris est une brique pour reconstruire ce qui a été brisé », explique l’homme multidimensionnel. Inspiré par les murmures de ses ancêtres et les cris étouffés des opprimés, sa musique puise dans le feu de la révolte et dans la lumière de l’espoir.
C’est en avril 2011 que Ctd se fait connaître avec son premier album solo, Diamant Noir, en France. Il y pose les bases d’un rap lucide, mêlant mémoire, identité et conscience sociale. Le titre de l’album est un manifeste : il revendique ses origines mauritaniennes et sénégalaises, sa couleur de peau, son africanité. Dès lors, il adopte le nom de scène « Ctd Diamant Noir ». Diamant Noir ? « Le diamant noir est rare, précieux, né sous une pression extrême. Il représente la résilience, la force et la beauté qui surgit du chaos. Comme cet élément, mon art est forgé par les épreuves, mais brille par sa vérité et son authenticité », explique-t-il. Alors en 2014, il sort Min (Moi), suivi d’un Ep en 2016. En 2022, il signe Houra, un single engagé en collaboration avec Iss814 et Books : « Ils ont volé, ils ont tué, ils ont pillé… », scande-t-il sur un beat drill sombre, avec une profondeur étonnante dans son utilisation du pulaar, sa langue maternelle. En 2023, Ctd revient avec Alkebulan, un album de onze titres dont le nom signifie « Afrique ». On y retrouve de nombreuses collaborations : Abdou Guitté Seck, Demba Tandian, Petit Kandia, Leuz Diwane G, Abda MC, Jah Man de Xpress, Roi Hems, ainsi que ses acolytes de toujours : Ewa, Books et Iss814. Dans cet opus, il célèbre l’Afrique et ses héritages, en croisant poésie, engagement et musicalité.
Une pensée en mouvement
Né de parents mauritano-sénégalais, installé en France depuis 2003, le rappeur Cheikh Tidiane Diop (Ctd), alias Diamant Noir, se définit comme un être en perpétuelle situation dans son époque. Dans un monde où chaque mot a des retentissements et chaque silence aussi, comme le rappelait Jean-Paul Sartre, il a choisi de faire du langage sa matière première. Avec une plume affûtée et un engagement sincère, Ctd Diamant Noir s’impose désormais, comme une figure incontournable de la scène hip-hop africaine, qu’il décline en pulaar, en français ou en anglais. Rappeur à la diction tranchante, professeur de mathématiques au tableau rigoureux, et poète au verbe incandescent, Cheikh Tidiane Diop défie les cases. Il conjugue les équations et les émotions, aligne les vers comme des vecteurs d’éveil, additionne les langues et soustrait les préjugés. Dans sa bouche, les mots riment avec engagement, et la musique devient une démonstration. Il ne distrait pas : il éveille, il élève. À la croisée du bitume et des bouquins, ce Diamant Noir taille son art dans les contradictions, avec l’éclat rare de ceux qui transforment les paradoxes en puissance. « Mon objectif n’est pas de distraire, mais de connecter. Je veux que chaque personne qui écoute mes textes se reconnaisse, se questionne et se relève. La musique n’est pas qu’un art, c’est un moyen de bâtir des mondes, un cri d’espoir dans l’obscurité », glisse-t-il.
Adama NDIAYE