À Diofior, au bord du Sine, une musique bat le rythme de la vie. C’est celle des femmes de la troupe « Diam Bougoum » (Je désire la paix, en Sérère). Depuis près de deux décennies, ces mères de famille, laveuses, vendeuses de petit-déjeuner ou de soupe, se métamorphosent en artistes dès que retentissent les premiers échos du tam-tam. Leur art n’est pas seulement une passion : c’est une thérapie contre le stress, un souffle de liberté, une entreprise culturelle et une affirmation de l’identité sérère. Reportage au cœur d’un groupe devenu emblème de Diofior.
Sous l’ombre légère des palmiers, les notes cristallines des calebasses résonnent, portées par les mains expertes des femmes. Certaines font chanter les peaux tendues des tam-tams, d’autres font vibrer les calebasses frappées en cadence. À Diofior, ces sonorités ancestrales se sont ajustées au souffle de la modernité, donnant naissance à un art qui conjugue héritage et innovation. Au cœur de ce mouvement, la troupe Diam Bougoum (« Je désire la paix, en sérère »), s’impose depuis 15 ans comme l’âme musicale de la commune.
Située dans le département de Fatick, Diofior incarne la mémoire vivante du peuple sérère. Ici, les cérémonies sociales, à savoir mariages, baptêmes et circoncisions sont inconcevables sans la vibration des percussions et la ferveur des chants traditionnels. La musique n’est pas un simple divertissement ; elle structure les rites, accompagne les étapes de la vie et sert de ciment à la communauté. Acteur incontournable des grandes cérémonies C’est dans cet environnement, fertile en symboles et en héritages, qu’est née la troupe « Diam Bougoum».
Le nom choisi traduit autant une philosophie de vie qu’un engagement : celui d’offrir aux populations des instants de communion et d’harmonie, loin des tourments quotidiens. Secrétaire générale de la troupe, Fatou Diouf parle d’une voix ferme et apaisante. Elle incarne le sérieux de l’organisation. « Nous sommes toutes des mères de famille. Certaines sont laveuses, d’autres vendeuses de petit-déjeuner ou de soupe. Mais dès que nous avons une prestation, nous nous mobilisons, nous laissons nos occupations et nous partons chanter. Ce que nous faisons, c’est avant tout pour vaincre le stress », confesse-t-elle, les mains sur la calebasse.
Ces mots traduisent la fonction presque thérapeutique de l’art. Les femmes de Diofior, souvent prises dans le tourbillon des tâches domestiques et des petits métiers, trouvent dans la musique un espace de respiration. Pour elles, chanter et jouer du tam-tam n’est pas seulement une activité artistique : c’est une forme de libération, un moment de joie partagée, une revanche contre la monotonie. Si Fatou Diouf symbolise la rigueur, Ramatoulaye Thiam incarne la passion. Vice-présidente de la troupe, cette femme énergique raconte son parcours avec une intensité qui captive.
Fille d’une lignée de batteurs de tam-tam, elle affirme que son destin était écrit. « C’est venu d’un rêve. Je tapais sur un bol jusqu’à y faire un trou. À mon réveil, j’ai demandé qui louait un tam-tam à Diofior. On m’a orientée vers quelqu’un et c’est ainsi que j’ai commencé. Je louais l’instrument pour jouer, puis j’ai fait mes premiers pas sur scène en 2004 », narre la femme au teint clair, le regard caché par des lunettes. Une pratique ancestrale transformée en métier Mariée à un ancien greffier, Ramatoulaye ne pratique pas la percussion par nécessité financière, mais par amour de l’art. « Le tam-tam, c’est ma vie. Tout ce que j’ai obtenu, je le dois à cet instrument. Quand je joue, je ressens une joie immense », sourit-elle, mine diffusant une fierté.
Sous son impulsion et celle d’autres pionnières, deux groupes féminins fusionnent en 2018 pour donner naissance à l’actuelle formation « Diam Bougoum ». Depuis lors, le collectif s’impose comme un acteur incontournable des grandes cérémonies. « Quand nous ne sommes pas présentes à un mariage ou à une circoncision, l’ambiance n’est plus la même. On sent qu’il manque quelque chose. Nous sommes devenues le groupe phare de Diofior », souligne Ramatoulaye. L’une des forces de « Diam Bougoum » réside dans sa capacité à allier tradition et modernité. Les femmes ont su transformer une pratique ancestrale en véritable métier. « Nos mères jouaient par passion et partageaient l’argent à la fin.
Aujourd’hui, nous avons une caisse commune. Nous avons investi dans du matériel de sonorisation de haut niveau. Nous sommes des professionnelles », assure Ramatoulaye. Le contraste est saisissant : hier encore, seules les calebasses résonnaient sous les doigts des musiciennes ; aujourd’hui, la troupe aligne percussions modernes, micros et amplis, offrant des spectacles de qualité qui séduisent au-delà des frontières locales. Avec ses 12 membres (chanteuses, percussionnistes et danseuses), Diam Bougoum sillonne le Sénégal, de Dakar à Saint-Louis. Leur passage au Grand Théâtre National de Dakar marque une étape symbolique : celui d’un groupe rural qui a conquis les grandes scènes. La modernité s’incarne aussi dans l’usage des outils numériques. Ramatoulaye publie régulièrement les prestations du groupe sur TikTok, offrant à la troupe une vitrine inespérée. Ces vidéos, largement partagées, assurent une visibilité nouvelle et attirent des clients.
L’art, autrefois cantonné aux cérémonies locales, se déploie désormais dans un espace virtuel global où la diaspora sérère s’enflamme à chaque performance. Chanteuse charismatique, Seynabou Senghor insiste sur la dimension identitaire du groupe. « Diofior est une terre sérère. Nous avons hérité cet art de nos ancêtres, mais nous en avons fait un métier. Là où d’autres vont au bureau et perçoivent un salaire en fin de mois, nos instruments sont notre gagne-pain », signale-t-elle. Promotion de la culture sérère Cependant, elle n’élude pas les difficultés. Le rêve de la troupe est clair : franchir les frontières, conquérir l’international. « Nous recevons chaque jour des messages de sérères d’Europe qui nous demandent de venir. Nous voulons jouer en France, en Italie, partout. Mais, il nous faut le soutien de l’État, des opportunités pour décrocher des contrats », mentionne-t-elle.
Seynabou fait aussi savoir qu’un projet d’album est déjà en gestation, preuve de la volonté de fixer sur disque une identité sonore qui, jusqu’ici, se vivait essentiellement dans la performance live. Lead vocal de la troupe, Aïssatou Faye résume l’ambition du collectif en une phrase limpide : « Nous voulons juste travailler. Nous sommes dans la sensibilisation et la promotion de la culture sérère ». Au-delà de l’animation des fêtes, Diam Bougoum revendique une mission éducative. À travers leurs chansons, les femmes transmettent des valeurs : solidarité, respect des anciens, importance de la paix et de l’harmonie sociale. En ce sens, leur musique dépasse le simple divertissement pour devenir un vecteur de sensibilisation culturelle.
Babacar Guèye DIOP & Marie Bernadette SÈNE (textes) et Ndèye Seyni SAMB (photos)