Dans de nombreux quartiers populaires de Dakar, les bibliothèques ont disparu. Fermetures discrètes, manque de budget, absence de personnel. En quelques années, ces lieux essentiels ont cessé de fonctionner. Conséquence directe : les enfants n’ont plus d’espaces pour lire, les étudiants n’ont plus de lieux calmes pour réviser, et l’accès à la culture devient de plus en plus inégal. Pourtant, pour de nombreux habitants, une bibliothèque ne demande pas grand-chose : une salle, des livres, et quelqu’un pour garder la porte ouverte.
Il n’y a plus de bibliothèques dans les quartiers. La fermeture s’est faite petit à petit. Au début, les horaires ont été réduits. Ensuite, le personnel n’était plus suffisant. Puis, un jour, les portes ont été fermées pour de bon. Cela s’est passé sans grand bruit et sans véritable explication publique. Aujourd’hui, certaines anciennes bibliothèques sont abandonnées. D’autres ont été transformées en dépôts, en boutiques ou en bureaux. Pourtant, ces lieux ont servi pendant des années et ont accompagné plusieurs générations d’élèves et de familles.
Les habitants en parlent souvent. Awa, mère de deux enfants, explique que lorsqu’elle était jeune, elle passait du temps à la bibliothèque du quartier. Elle y faisait ses devoirs et découvrait des livres qu’elle ne pouvait pas acheter. Aujourd’hui, elle n’a aucun endroit pour envoyer ses enfants lire ou travailler. Selon elle, les enfants restent à la maison devant la télévision ou le téléphone, parce qu’ils n’ont pas d’autre alternative. « Aller en centre-ville n’est pas possible pour tout le monde. Le transport coûte cher, et les familles n’ont pas toujours le temps », fustige-t-elle. Les étudiants ressentent aussi le manque. Penda Diop, étudiant en licence, dit qu’elle n’a plus d’espace calme pour réviser. « À la maison, il y a du bruit et beaucoup de distractions », confie-t-elle. Avant, elle passait ses après-midis à la bibliothèque du quartier des Hlm. Maintenant, elle est obligée de passer beaucoup de temps à la médiathèque du Cesti.
Manque de moyens
Les communes justifient ces fermetures par le manque de moyens. Certaines bibliothèques n’avaient plus assez de personnel. D’autres avaient des bâtiments en mauvais état et du matériel ancien. Mais ce sont surtout les quartiers populaires qui ont été touchés. Les enseignants constatent déjà les effets. Idrissa, professeur de français, explique que ses élèves lisent de moins en moins. Avant, ils empruntaient des livres à la bibliothèque du quartier. Aujourd’hui, presque aucun ne lit en dehors de l’école. Selon lui, cela se voit dans leurs devoirs. « Le vocabulaire est plus limité, la compréhension des textes est plus difficile et les élèves prennent moins l’habitude de lire régulièrement », ajoute-t-il.
La bibliothèque était aussi un endroit pour faire les devoirs, participer à des ateliers ou assister à des projections éducatives. Les enfants y trouvaient un espace calme et sécurisé. Aujourd’hui, plusieurs habitants disent que les enfants passent plus de temps dehors, sans activité. Ousmane, gardien d’école, remarque que certains trainent dans la rue après les cours. Pour lui, une bibliothèque ouverte pourrait changer beaucoup de choses. Des associations comme la Bibliothèque Nomade, essaient de remplacer ces services. Certaines organisent des bibliothèques mobiles. D’autres collectent des livres pour les distribuer dans les écoles. Ces initiatives sont utiles, mais elles ne peuvent pas remplacer une structure permanente. Une bibliothèque ouverte tous les jours offre un accès stable aux livres et au travail scolaire, ce que les actions ponctuelles ne garantissent pas.
Pour beaucoup d’habitants, la solution n’est pas compliquée. Ils ne demandent pas une grande médiathèque moderne. Une petite salle, des étagères, quelques livres, des tables, des chaises et un bibliothécaire suffiraient. Une bibliothèque ouverte dans un quartier peut améliorer les résultats scolaires, réduire l’oisiveté et offrir une activité utile aux enfants et aux jeunes.
L’Ifd et la Bu parmi les derniers sanctuaires
Aujourd’hui, l’absence de bibliothèques dans les quartiers crée un vide. Ce vide touche l’éducation, la lecture, la réussite scolaire et l’égalité des chances. Ainsi, de nombreux élèves et étudiants sont contraints de quitter leur quartier pour trouver un lieu calme où lire ou travailler. L’Institut Français de Dakar est devenu l’un de ces refuges incontournables. Chaque jour, des jeunes parcourent plusieurs kilomètres pour profiter de ses ressources. La Bibliothèque de l’Université Cheikh Anta Diop (Bu) remplit une fonction similaire. Des étudiants viennent de Pikine, Guédiawaye ou Rufisque, parfois en se levant à l’aube pour être sûrs de trouver une place. Mamadou, étudiant en licence, explique : « Je pars de chez moi à six heures du matin pour arriver à la Bu avant sept heures. Il faut presque une heure et demie de transport, parfois plus. Même là, toutes les tables sont vite occupées et je dois parfois m’installer dans les couloirs. Mais au moins, je peux travailler dans le calme ».
Pour ces jeunes, le déplacement est devenu un rituel. Beaucoup racontent que les trajets sont fatigants, coûteux et parfois décourageants. Pourtant, ils continuent de venir, conscients que sans ces refuges, ils n’auraient aucun endroit adapté pour lire ou étudier. Malgré les difficultés, certains jeunes trouvent en ces lieux un espace de motivation. Ils y découvrent de nouveaux livres, s’initient à la recherche documentaire et peuvent travailler sans distraction. Khalil, membre du club de lecture de l’institut français de Dakar explique : « Ces refuges sont essentiels. Beaucoup de jeunes n’ont plus rien dans leur quartier. Mais ces lieux sont saturés, et beaucoup ne peuvent pas y accéder. Il faudrait que chaque quartier ait sa propre bibliothèque, simple mais fonctionnelle, avec des livres, des tables, des chaises et un bibliothécaire. Cela permettrait à tous d’avoir les mêmes chances d’apprendre et de progresser ».
Ces témoignages montrent que, malgré les efforts individuels, le manque de bibliothèques de proximité reste un obstacle majeur pour l’éducation et l’accès à la culture. L’Institut Français et la Bu de l’Ucad remplissent un rôle vital, mais elles ne peuvent absorber la demande de tous les jeunes, surtout ceux qui vivent loin et n’ont pas les moyens de se déplacer quotidiennement.
Par Amadou KÉBÉ

