En sortie le 16 juillet prochain sur les écrans français, le documentaire « Germaine Acogny, l’essence de la danse » de Greta-Marie Becker est une formidable introduction à la démarche de l’ancienne directrice artistique de l’École Mudra Afrique.
Celle que les Sénégalais appellent « la Germaine nationale » a maintenant 81 ans. Elle est mondialement célèbre. Si le film de Greta-Marie Becker s’appelle « l’Essence de la danse », c’est qu’il tente de percevoir ce que permet « la technique Acogny ». Ce ne sont pas tant les explications données par elle ou son assistante qui nous éclairent, mais ce que le cinéma donne le mieux à voir : les corps en action. Le résultat du travail de formation est là : au-delà des chorégraphies précises qui permettent au groupe d’illustrer son élan, on voit des êtres habités. Ils ont appris à se décoincer, à vivre dans la danse, leur flamme intérieure, et développer leur singularité en harmonie et synergie avec les autres et la nature. Germaine Acogny n’a pas progressé seule.
Le président Senghor l’a vue danser sur son poème « Femme nue, Femme noire » et l’a soutenue, avec Maurice Béjart, la nommant directrice artistique de l’École Mudra Afrique à Dakar, la première école panafricaine de formation professionnelle de danse en Afrique. Elle y développe sa technique, synthèse des danses traditionnelles ouest-africaines et des danses occidentales contemporaines, dans le cadre d’une pédagogie ancrée dans une spiritualité active. Mais l’école ferme en 1982, la culture n’est plus une priorité pour l’État sénégalais après le départ de Senghor. Elle rejoint Béja rt à Bruxelles et enseigne à Toulouse où elle crée une autre école avec son mari Helmut Vogt. :
En 1995, ils s’installent au Sénégal et fondent l’École des sables près de Toubab Dialaw, un village de pêcheurs à 50 km au sud de Dakar, sur un terrain vague en bord de mer. C’est une aventure difficile, qui cherche sans cesse son équilibre économique, mais permet à de multiples apprentis venus de toute l’Afrique et du reste du monde de se former à des chorégraphies décoloniales, une dimension essentielle dans le travail de Germaine Acogny. Cette affirmation est permanente dans son développement artistique et sert à la fois de trame et d’énergie au récit chorégraphique autant qu’à la pédagogie.
Elle nomme sa compagnie « Jant-Bi : le soleil » en wolof, car il est central dans sa technique de le situer dans le corps, de même que la lune et les étoiles. Enrichi de nombreuses archives et témoignages jusqu’à aujourd’hui, le film de la jeune Berlinoise Greta-Marie Becker suit le parcours de la chorégraphe, explorant ce rapport à l’Histoire et aux autres. Aujourd’hui, l’École des sables est devenue un village en soi autour d’Aloopho, la grande aire de répétition qui a pris le nom de sa grand-mère, prêtresse yoruba au Bénin.
Cette oasis de paix est menacée par la construction à Ndayane du plus grand port à container d’Afrique de l’Ouest. Mais les danseurs aux pieds nus continuent de s’exercer face aux bulldozers, en écho à l’exemple de résistance et de ténacité de Germaine Acogny.
Olivier BARLET