Vieille de près de huit cents ans, la Chasse de Diobaye reste la locomotive de la culture à Fatick, en particulier au quartier traditionnel de Ndiandiaye. Cet évènement culturel, marqué par le retour de jeunes gaillards après une sortie de chasse, est un rituel conçu pour éliminer les animaux de mauvais augure et destructeurs de récoltes. L’édition 2025 a été célébrée, le lundi 7 juillet, dans une ambiance culturelle à couper le souffle.
FATICK – Une ambiance indescriptible a régné, le lundi 7 juillet 2025, au quartier Ndiandiaye de Fatick, et plus généralement toute la ville. Des pas de danse au rythme du tam-tam traditionnel et des cris de gloire ont ponctué l’édition 2025 de la Chasse de Diobaye. Un évènement culturel phare célébrant le retour triomphal des jeunes chasseurs après l’élimination des ennemis des récoltes. Autrement dit, il s’agit d’aller en brousse pour chasser les animaux nuisibles aux cultures, à la veille de l’hivernage.
D’un point de vue historique, on enseigne que cette cérémonie remonte à l’époque de Wagane Téning Faye, troisième roi du Sine. Elle aurait été initiée dans les années 1200 par Wal Par Ndiaye, fondateur du quartier Ndiandiaye, et par conséquent de Fatick. Ainsi, près de huit siècles se sont écoulés, et la Chasse de Diobaye continue de cristalliser la culture de Ndiandiaye, et plus largement celle du monde sérère. Ce jour, en dépit de la canicule qui sévit dans la ville, la population s’est laissée aller dans une ambiance folle où la tradition s’est exprimée avec force. Avant de regagner l’arène Ngor Sine Ndour, choisie pour abriter la cérémonie, les chasseurs se sont d’abord regroupés au nouveau lycée de Fatick, point de départ de la grande fête. Dès qu’ils se sont mis en route, tout le quartier Ndiandiaye a vibré.
En plus de la danse rituelle, la marche, qui s’étend sur un peu plus d’un kilomètre, a surtout été marquée par des messages codés à travers des chants réservés uniquement aux initiés. En tenues plus ou moins extravagantes, les chasseurs ont montré, durant tout le trajet, leur talent chorégraphique. Accompagnés d’une foule enthousiaste, ils ont, pour ainsi dire, réveillé tout sur leur passage. Au milieu de la mêlée, le drapeau aux couleurs nationales, solidement attaché à un bâton, a flotté durant toute la marche. Mais ce n’est pas tout. Des herbes sauvages enroulées autour du cou et de la tête, les chasseurs ont tiré à plusieurs reprises des coups de fusil en l’air, un geste symbolique parmi tant d’autres qui démontre leur courage et leur bravoure. Ils ont également brandi des bâtons au bout desquels étaient attachés des cadavres d’animaux, en signe de gloire et de victoire.
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Un rendez-vous sacré
Les jeunes chasseurs ont tué plusieurs animaux, parmi lesquels des oiseaux, des reptiles, des écureuils, des lapins et des chacals. Cette chasse, qui vise autant d’animaux, a bien ses raisons et son histoire. Selon la tradition, un animal sauvage aurait été à l’origine de la rareté de la pluie. Il fallait donc que des personnes dotées de connaissances ésotériques se prononcent pour trouver une solution. C’est ainsi qu’il fallait éliminer l’animal porte-malheur. Seydou Faye, un natif de Ndiandiaye et homme de tradition, revient sur cette histoire : « On nous raconte qu’il y eut, une année, une très grande sécheresse. Et un jour, lorsque les chasseurs se sont regroupés pour faire le tour de la forêt, ils ont tué un animal. Ce jour-là, il a plu. Par la suite, les habitants de Ndiandiaye se sont rendu compte que le retour de la pluie était dû à la mort de l’animal. »
En ce milieu de journée, les corps n’ont cessé de transpirer. Mais tout le monde a tenu bon. On aurait dit que les âmes étaient devenues invulnérables à la chaleur accablante. Le jeu en vaut la chandelle, sachant que l’évènement de Diobaye est surtout une façon de conjurer le mauvais sort à l’approche de l’hivernage. Au milieu de la foule, un jeune chasseur brandit son long bâton sur lequel est accroché un cadavre d’animal. Vêtu de noir, Diégane Diouf laisse parler son cœur. « C’est un moment durant lequel les fils de Ndiandiaye, et de Fatick en général, renouent avec leur tradition. On est nés dans cette culture. On est moulés dans cette culture, c’est dans notre Adn, c’est notre identité culturelle, et nous en sommes très fiers », a-t-il avancé De cette forte mobilisation émergent des pratiques mystiques confirmant la sacralité de l’évènement. De temps en temps, on asperge la foule d’un liquide béni. Juste avant d’arriver à l’arène Ngor Sine Ndour, les femmes, les enfants, les chasseurs, tous, à tour de rôle, entrent chez Mamadou Ndiaye, dit « Bébé Ndiandiaye », pour prendre un bain mystique. L’affluence est telle que la bousculade s’est invitée. À en croire M. Ndiaye, qui organise cette pratique sacrée, les gens vont passer la journée à se laver. « C’est une façon de les protéger. Le savoir mystique ancestral vit encore parmi nous », explique-t-il, le ton fier.
Un charme irrésistible
En début d’après-midi, l’arène Ngor Sine Ndour bat déjà son plein. Des centaines de spectateurs, ainsi que les autorités, ont pris place en attendant l’arrivée des chasseurs, qui n’étaient plus qu’à un jet de pierre. Leurs voix se faisaient entendre, et l’on pouvait sentir les pieds écraser le sol.
Aussitôt entrés dans l’arène, les cris s’élèvent, mêlés aux tirs effrayants de fusils de chasse. Après avoir contourné plusieurs fois le fromager établi en face du portail, les chasseurs regagnent l’enceinte de l’arène. Tous s’assoient à même le sol. De belles images qui ont laissé Bakary Sarr, secrétaire d’État à la Culture, aux Industries extractives et au Patrimoine historique et Matar Bâ, maire de Fatick, sans voix. Ils ont assisté à des rituels à couper le souffle. C’est d’ailleurs pour cette raison que M. Sarr a rassuré les organisateurs de la Chasse de Diobaye du soutien de l’État. « La Chasse de Diobaye est un évènement d’une très grande importance. C’est un patrimoine qui mérite d’être préservé, car il est aussi un symbole d’unité du monde sérère. Nous sommes prêts à accompagner les prochaines organisations. Déjà, les autorités étatiques sont déterminées à apporter un soutien à ce genre d’initiatives qui mettent en valeur la culture, un domaine qui tient à cœur le président de la République et le gouvernement », a-t-il déclaré.
Matar Bâ, de son côté, a magnifié l’organisation de cet évènement qui trouve ses origines à l’époque de Wagane Téning Faye, troisième roi du Sine. Sous les applaudissements du public, l’édile de Fatick a rappelé la contribution de la commune dans cet agenda culturel unique dans la ville. D’après lui, la mairie a subventionné l’évènement à hauteur de 5 millions de FCfa. « Que chacun d’entre nous mette la main à la poche pour apporter sa contribution, car cet évènement reste un patrimoine à préserver jalousement », a ajouté l’ancien ministre des Sports sous le régime sortant de Macky Sall.
Ces différentes allocutions, ovationnées par un public conquis, ont été suivies par des chorégraphies remarquables. À tour de rôle, les différents patronymes se sont déployés sur scène pour montrer, chacun, son savoir-faire. Aujourd’hui, les organisateurs souhaitent que la Chasse de Diobaye trouve une meilleure place dans l’agenda culturel du pays, au regard de son histoire et de son influence. Comme l’a mentionné Aly Koto Ndiaye, notable de la ville : « Cette cérémonie existe bien avant l’arrivée du colon en terre africaine, à l’époque où l’Afrique n’était qu’un vaste territoire, sans frontières coloniales. Il me semble donc important que les autorités le sachent. »
Véhiculer des valeurs humaines
À travers la Chasse de Diobaye, des valeurs humaines sont aussi véhiculées : l’amour pour son prochain, l’humilité, l’humanisme, l’hospitalité, le don de soi… Ainsi, comme l’enseigne Cheikh Faye, le « Sacuur » (chef coutumier chargé de gérer le fief du génie protecteur Mindiss) : « La Chasse de Diobaye est une occasion de prières. Les ancêtres la pratiquaient pour bénir la société et protéger les récoltes. »
En outre, des activités annexes, à vocation mystique, viennent renforcer la sacralité de Diobaye. Ainsi, la veille de la chasse, des séances de divination, ou « Xoy» en sérère, sont organisées pour permettre aux devins de prédire l’hivernage et de prendre toutes les précautions nécessaires. C’est après cette activité que les jeunes se mobilisent le lendemain, vers 6 ou 7 heures du matin, pour rejoindre la brousse. Mais avant le départ pour la chasse, ils effectuent d’abord une baignade mystique dans le bras de mer, fief de Mindiss, le génie protecteur de la ville.
E. F. SARR (Correspondant)