Son nom n’est pas connu par beaucoup de Sénégalais mais il est célèbre à Tambacounda et dans le milieu de l’élevage. Diéyel Sow est une femme éleveur engagée dans l’entreprenariat. La société qu’elle a fondée, spécialisée dans la production de fromage local et d’autres dérivés du lait, est en train de tisser sa toile….
Gourel Diadié. Ce quartier périphérique de Tambacounda se bat contre la ruralité. Les constructions modernes côtoient les maisons en zinc et parfois même en paille formant une improbable symbiose. Au bout d’une ruelle, se dresse le siège du Réseau des femmes éleveurs du Sénégal (Refeels). Une maison de 300 m2 environ, entièrement clôturée avec un modeste bâtiment. A l’entrée, dans la cantine qui s’ouvre à l’extérieur sont rangés, sur des étagères, des pots à lait vides, des thermos et autres récipients isothermes.
Dans l’arrière chambre qui donne sur la vaste cour de la maison laissée à l’état naturel, des dames, toutes vêtues de blouses blanches agroalimentaires, ont déjà mis en place le dispositif. C’est avec le sourire que la maîtresse des lieux accueille. « Soyez les bienvenus. C’est d’ailleurs vous que nous attendions pour commencer la préparation. Je veux que vous voyez par vous-même comment nous transformons le lait », lance Diéyel Sow.
Vêtue d’une robe « thioup palmane », sublimée par un collier africain en perles de verre enroulé à deux tours sur son cou, elle ne laisse aucun détail qui pourrait compromettre son travail. Elle le prend très au sérieux. Elle rectifie, oriente, donne des conseils. Quand elle est satisfaite, elle laisse voir une belle dentition mise en valeur par le tatouage en indigo de ses lèvres et gencives. Une marque de la beauté peule. Le travail peut commencer. Diéyel montre les différentes étapes de la préparation du « boudi kossam », un fromage à base de lait naturel.
Les femmes qui l’exécutent sont toutes des présidentes de Groupement d’intérêt économique (Gie), membres du Refeels qu’elle a formées, après avoir elle-même reçu une formation en France. Pour réussir le « Boudi Kossam », il y a des préalables. Le lait doit être de qualité. Il faut donc être rigoureux dans le choix. Ici, c’est la technique de l’alcool qui est utilisée pour tester la qualité. Il suffit de mélanger un volume égal de lait et d’alcool dans un tube à essai et d’observer si le mélange coagule ou forme des flacons. S’il coagule, il est de qualité. Si sa stabilité est faible, cela veut dire que ce lait n’a pas la qualité pour la fabrication de produits laitiers, nécessitant un traitement thermique. Le même procédé est utilisé pour savoir si le lait est produit ou pas par une bête malade.
Ensuite, il faut être « clinique » dans le dosage des différents ingrédients. Cette étape dépassée, le lait est bouilli à haute température pendant 15 mn avant d’y rajouter du citron fraîchement pressé. Il faut encore le laisser bouillir pendant 15 mn dans la marmite avant de le filtrer. Au bout, il y a un résidu fortement pressé constituant le fromage ; et aussi le filtrat, le fameux petit lait dont Diéyel vante les vertus dans la lutte contre l’impuissance sexuelle. « Un aphrodisiaque naturel », dit-elle, un petit sourire en coin. Le processus peut encore se poursuivre. Le fromage peut être transformé en brochettes. Tout ce travail est fait sous la supervision de Diéyel Sow qui intervient de temps en temps pour rectifier.
La soixantaine, Diéyel Sow ne respire que pour l’élevage. Tambacounda, Kolda, Kaolack, Dakar… elle est sur tous les fronts. Pouvait-il en être autrement ? L’élevage, c’est son héritage familial. Sixième enfant de sa fratrie, la présidente du Réseau des femmes éleveurs du Sénégal a appris les subtilités de l’élevage à l’école de son père. Née à Maka Coulibantan et grandi à Tambacounda, Diéyel Sow est de ces personnes qui n’ont pas cherché loin pour se créer une vocation. Elle a simplement suivi les pas de ses aïeux. « Mon père m’avait inscrit à l’école mais je n’ai même pas terminé la première année. Il fallait l’aider dans les travaux champêtres parce qu’il n’avait pas beaucoup de garçons. J’alliais cette tâche à l’apprentissage du Coran que j’ai suivi pendant 12 ans », explique-t-elle.
De fil en aiguille, elle a réussi à bâtir une réputation dans un milieu aussi masculin que l’élevage. En plus de son troupeau riche d’une cinquantaine de vaches lui fournissent du lait pour ses activités de transformation et ses hectares de terre qu’elle utilise pour la culture fourragère et autres, Diéyel a contracté avec des éleveurs de la zone qui lui ramènent toute leur production de lait qu’elle achète cash. « Avant, nous rencontrions beaucoup de difficultés pour vendre notre lait. Aujourd’hui, avec la laiterie de Diéyel, nous n’avons plus de difficultés pour écouler notre production », témoigne Diam Diallo, un de ses fournisseurs.
Djiby Diallo abonde dans le même sens. Pour lui, Diéyel est une véritable actrice du développement. « Il nous arrivait de jeter des quantités importantes de lait faute de trouver des acquéreurs. Mais maintenant, nous avons même du mal à satisfaire ses besoins en lait. Vraiment c’est une femme très brave qui mérite d’être accompagnée », soutient-il. Malgré ses efforts en termes d’organisation, de formation et de recherche de financement pour les femmes, de contribution à l’autosuffisance en lait et ses dérivés, en viande, etc., Diéyel ne se sent pas l’implication des autorités en charge de l’élevage. « Il y a un groupuscule d’éleveurs qui ont l’oreille des autorités en charge de l’élevage mais qui, malheureusement, ne leur dit pas la vérité. Nous croyions qu’avec l’arrivée du nouveau régime, tout cela allait changer, mais rien. C’est ce groupuscule qui continue d’avoir la confiance du ministre », regrette Diéyel.
Pour elle, si le Sénégal veut vraiment stimuler sa production laitière, « un programme d’insémination artificielle est plus pertinent qu’un programme d’importation de vaches laitières, notamment des génisses gestantes ». « J’ai même mis en vente ma vache Montbéliarde. Ces vaches s’adaptent mal à nos conditions climatiques. Elle a vêlé à trois reprises, mais les petits n’ont pas survécu », relève la président du Refeels, qui a reçu plusieurs distinctions qu’elle expose fièrement. En attendant une production à grande échelle, le « Boudi Kossam » continue de régaler les friands de produits laitiers à Tambacounda et dans tout le Sénégal.
Par Amadou Maguette NDAW, Ndiol Maka SECK (textes) et Moussa SOW (photos)