Arène nationale, arène continentale, arène internationale : « Bakku », partout. Plus qu’un mot, un mouvement. Il a en son sein architectes et artistes de tous genres. Il a déjà produit une exposition intitulée « Union des savoir-faire dans l’Art », qui a été une occasion d’en expliquer la philosophie.
« Bakku » ! Le mot fait penser au « làmb » (séance de lutte) du week-end. Il dessine dans les esprits une arène nationale bondée de monde et y ramène l’écho des tams-tams. On repense alors à Modou Lô et Balla Gaye, à Babou Ngom et aux cantatrices sérères qui animent les week-ends de chez Senghor. Le mot pourtant, ce vendredi 23 mai 2025, transporte dans un autre environnement. Il transporte au Centre international de conférences Abdou Diouf (Cicad ), dans une salle peuplée de sculptures et de toiles. Toiles, sculptures et autres projets d’architecture (accrochés aux murs) dialoguent. Une exposition intitulée « Union des savoir-faire dans l’Art », le tout, porté par le concept « Bakku ».
Le cachet « union » qu’accompagne l’intitulé de l’exposition est « une manière d’inclure tout le monde. D’inclure les architectes, d’inclure les artistes, d’inclure tout ce monde qui gravite autour de l’Art ». Parole de l’architecte Aïssatou Diagne, qui en est la commissaire. La mise en musique des différentes spécificités qui font l’exposition découle, dans son esprit, d’une volonté de dégager une manière autre de voir la ville. La ville, en tant que superposition d’échelles. Lorsqu’on veut la comprendre, « on part des îlots qui la composent jusqu’à la parcelle. Et la parcelle contient en fait ce que l’architecte conçoit comme un bâtiment. Dans tout cela, il y a les bâtiments qu’on appelle les bâtiments structurants de la ville et après, effectivement, il y a tous les logements. Dans cet aménagement global, il est compris l’installation de l’œuvre des artistes. C’est vrai qu’on a tendance, en réfléchissant, à faire fi de cela alors que c’est très important ». Cette idée de la commissaire Aïssatou Diagne s’illustre sur l’un des tableaux qui tapissent les lieux de l’exposition. On y voit rappeler le 1 % (1968) qui oblige tout constructeur de consacrer ce pourcentage du coût total de toute construction publique au financement de la décoration des bâtiments publics.
Tout l’héritage de tout ce qui a été conçu
Musée-mémorial du Joola, Musée Serigne Touba, Église de Nianing : les tableaux sont là et sont nombreux. Ils sont d’architectes sénégalais et d’ailleurs, parce qu’ils sont dans l’esprit du mouvement « Bàkku ».
« Le “Bakku“, c’est un esprit de générosité. C’est la raison pour laquelle il est activé autour du savoir-faire. On dit de l’Afrique que c’est le berceau de l’Humanité et nous devons prouver cela par nos savoir-faire réunis. C’est ainsi un mouvement philosophique qui exprime tout cela », explique Malick Mbow. Et c’est la musique, le cinéma, l’architecture la poésie, l’artisanat, l’ébénisterie : c’est tout. Et c’est noir, blanc, jaune… Parce qu’il se veut universel, le « Bakku », « ne s’arrête pas simplement à ce que nous concevons maintenant. Nous prenons en compte tout l’héritage de tout ce qui a été conçu, tout ce qui a été fait, peut-être par d’autres. Et nous avons cette possibilité et ce savoir-faire de le rendre identitaire, de le mettre dans notre identité ».
L’Afrique, ce musée de sculpture monumentale en plein air
Mouvements. On se meut dans le Musée du Cicad. L’exposition a attiré du monde. Groupuscules, çà et là. Le mouvement des lèvres crée une symphonie de chuchotements maîtrisés, qui se lèvent et s’estompent. Une partie de ce beau monde, d’ici et d’ailleurs, venu assister à la cinquième édition du Salon international de l’habitat – Senhabitat et au premier Symposium des Architectes Africains se retrouve dans l’« Union des savoir-faire dans l’Art ». Cette exposition est celle de celles et ceux qui osent rêver une autre manière d’aménager les espaces de vie. Une autre manière de sculpter la ville. Ce nouveau souffle transparaît dans l’enthousiasme du sculpteur Ousmane Guèye. « Depuis la nuit des temps, l’architecture n’a été autre chose que la sculpture monumentale fonctionnelle sur laquelle on peut faire la réflexion sur les volumes, les rapports de plan, l’équilibre, la durabilité du bâtiment », dit M. Guèye. Ses mains ont le génie de matérialiser sur marbre, bois et autres, ce que dicte son esprit. Ce même esprit se projette : « les bâtiments que nous devons construire aujourd’hui vont aller vers une adaptation et un mélange de la culture africaine ». Pour lui, « le Sénégal ne doit pas, et l’Afrique, compétitr avec des pays soi-disant développés comme Dubaï, le Qatar, les États-Unis, l’Europe ».
Le Musée du Cicad offre au regard des visiteurs des esquisses de ce rêve qui pétille dans les yeux du Sieur Guèye. D’ailleurs, celui qui a montré son savoir-faire au monde via plusieurs projets comme celui de la Forêt bleu ne parle pas que de ville concernant le Sénégal et l’Afrique. L’Afrique doit être, « est un musée de sculpture monumentale en plein air »…Jardins suspendus, façades vertes…le discours de Ousmane Guèye sculpte une ville où « les facteurs essentiels de la survie de l’homme » sont « fusionnés avec cette architecture » qui s’appuie sur la « Bakku ». Agro-architecture, annonce celui qui voit la sculpture comme le troisième élément à associer, nécessairement, aux deux premiers.
Quand le Bakku a résonné
Et c’est visuel, ce que disent ses mots. Ce musée de sculpture monumentale en plein qu’il imagine aura forcément besoin de couleurs. Viyé Diba et la Plateforme des artistes visuels au Sénégal (Pavs) seront là pour apporter…leurs coups de pinceaux à la fresque. « L’union des savoir-faire dans l’art » s’interprète, chez M. Diba, comme « une espèce de réponse à cette volonté de redéfinir l’Afrique, qui s’appuie sur son passé et qui se projette dans l’avenir, mais, sans complexe ». Le « Bakku » qui porte « l’Union », en plus d’être « un cri de ralliement », est « une assumation de notre humanité, notre capacité de réfléchir, de structurer notre pensée, d’organiser une pensée qui est en rapport avec notre quotidien », dixit Viyé Diba.
« Quand le Bakku a résonné au ministère, il a été accueilli avec beaucoup d’enthousiasme, parce qu’au-delà d’exister comme un courant, il matérialise la vision d’un président qui a envie que les architectes et les bâtisseurs puissent s’unir et avoir la même vision, les mêmes ambitions, pour constituer ce corps qu’on appelle l’État-bâtisseur ». Le directeur général de la construction et de l’habitat s’est-il exprimé, durant son discours lors du vernissage. « Je veux que la ville de Thiès soit la ville du Bakku. » Le ministre Moussa Bala Fofana s’est-il exprimé, selon ce que rapporte Moussa Tine. « Ça veut dire qu’il est dans la matérialisation du Bakku », et le Musée d’applaudir ! Les applaudissements disent un bonheur et le bonheur, précisément, est l’un des horizons vers lesquels tend ce mouvement qui semble adopté par plus d’un. Dans cette optique, Viyé Diba déclare : « le futur de tout art, comme toute architecture, est de créer le bonheur des gens d’aujourd’hui ». Un dernier mot sur le « Bakku », l’artiste ? À la section « B » du dictionnaire artistique de Viyé Diba, on pourrait avoir ça, comme definition de « Bàkku » : « centre de cristallisation intellectuelle, artiste et économique ». Économique ? « Le mot n’est pas très fort, parce qu’au fond, toutes les villes sont d’abord des constructions artistiques. » Yékini et Tyson ? Paul Maurice, le lutteur-chorégraphe ? Eumeu Sène dont le « bakku » l’arène à chaque fois qu’il l’esquisse ? Ce qu’ils font, « c’est esthétique, c’est de l’Art » pour Malick Mbow. C’est alors dans le mouvement…
Par Moussa SECK