Maya Inès Touam, photographe franco-algérienne, expose « Déeyante ak àdduna » (Les murmures du vivant). Une plongée mystique dans les liens profonds entre l’humain et son environnement. À travers photographies et sculptures, cette exposition, qui se tient à la Galerie Le Manège de Dakar, propose une émotion singulière et universelle.
Parfois, les idées voguent et fendent les entrailles du cosmos. Parfois, l’obscurité enveloppe tout. Comme un étranger venu de loin, un pèlerin surpris par la postérité des lieux, la peur prend le dessus et le coeur tambourine. Par moments jaillit la lumière. Une peur entremêlée de joie suit, alors. Souvent on rit, mais parfois on pleure. Dans l’entre-deux de l’ombre et de la lumière, où la vie et la mort dansent leur éternel ballet, l’esprit navigue avec grâce. Le temps est indescriptible. Un univers mystique se dévoile. Le reflet des portraits devient des rituels entre rires et pleurs. Il tisse des récits où les joies et les tourments s’entrelacent. Mystère. Souffle… On ressent… Aucune âme vive ! Et pourtant, la curiosité, pas du tout morbide, dicte sa loi, et avancer s’impose, en effet. Puis, s’affiche un tableau de quatre portes infranchissables au bord de l’océan. Ce dernier avance sans pitié, en quête d’espace (érosion côtière).
Dans ce clair-obscur où règne un murmure silencieux, maintenant, on entend les lames sur la grève bouillonner et courir, et toujours sans trêve s’écrouler en faisant un fracas cadencé.
Sauf que ceci n’est pas un rêve. Mais un conte peint dans une atmosphère qui invite à la méditation. Ce conte, c’est celui de Louis Camara qui raconte l’histoire de Mame Coumba Bang, génie protecteur, et sa relation avec les Saint-Louisiens. Dans ce tableau qui attire les regards, c’est donc Aïssatou qui a rêvé de sa grand-mère, qui lui demande d’aller faire une offrande à Mame Coumba Bang, déesse du fleuve, afin qu’elle puisse protéger les populations contre l’avancée de la mer. Au milieu de la nuit, au moment où l’on n’entend que le son du silence, « un bruit tonitruant résonne », narre-t-on. C’est Mame Coumba Bang qui lutte contre l’avancée de la mer grâce à l’offrande d’Aïssatou.
Une technique artistique unique
C’est là que fruits, légumes, lait caillé, pommes, mangues, objets d’art, entre autres, comme offrandes, composent l’image. Des éléments qui représentent le tumulte de la région de Saint-Louis en tant que ville cosmopolite.
« Pour une oeuvre photographique, elle fait 1500 clichés avant de prendre, une par une, les images qui lui permettent ensuite de créer ses compositions », précise Ken Aïcha Sy, commissaire de l’exposition. « C’est un processus très long et une installation très technique », ajoute la directrice de la Galerie Le Manège.
Identité, mémoire
Ce voyage visuel et poétique « Déeyante ak àdduna », traduit en « Hamasset el Ahiaa » en arabe et « Les murmures du vivant » en français, est l’oeuvre de Maya Inès Touam, artiste photographe franco-algérienne. Elle puise son essence dans les contes animistes qui bercent les Sénégalais depuis l’enfance, et dans les liens profonds entre l’homme et la terre. L’artiste, reconnue pour ses oeuvres allégoriques explorant l’identité, la mémoire et la culture, nous convie à explorer ici les subtiles interconnexions entre l’humain et son environnement. Maya célèbre le monde du vivant à travers un parcours mêlant photographies et sculptures. Conçue pour offrir une expérience immersive riche en poésie, l’exposition ancre chaque projet dans le territoire traversé. Dans la région de Saint-Louis, Maya Inès Touam sculpte des fragments d’histoire. Elle ravive visuellement les récits oraux ancestraux de cette contrée. À travers des mises en scène détaillées, l’artiste rythme la rencontre entre l’homme et la nature et révèle leur influence mutuelle ainsi que leur coexistence harmonieuse.
Une invitation à la réflexion
Puisant son inspiration dans les contes animistes, elle présente des oeuvres qui réactivent visuellement des histoires transmises de génération en génération. Une de ses pièces mettant en scène une mangrove où une natte étalée invite à la réflexion sur la cohabitation entre l’homme et son environnement.
« C’est pour montrer qu’il existe véritablement une cohabitation intéressante et un lien particulier entre l’homme et la nature », explique la commissaire d’exposition.
Dans la production artistique de l’auteur, les portraits vibrants, inspirés des gestes des ouvriers agricoles, traduisent une chorégraphie du quotidien où passion et communion s’entrelacent.
Les techniques de Maya Inès Touam, comme le contre-collage et la peinture digitale, créent un dialogue subtil entre l’ombre et la lumière. Chaque oeuvre est une invitation à explorer les contrastes entre la vie et la mort, la nature et la modernité.
Plus loin, une autre pièce interroge le lien entre l’homme et la pollution à travers des feuilles de bananes mortes qui jonchent le sol, tandis qu’en arrière-plan, une nature en filigrane suggère l’urgence de sa préservation.
Maya Inès Touam ne se contente pas de capturer la nature ; elle dialogue avec elle. Les récits oraux et visuels se croisent dans une mise en scène où chaque élément, de la couleur au contraste, a son importance. « Elle recrée un univers où chaque détail résonne avec l’histoire de la région et les enjeux de son environnement », souligne la directrice. Une approche qui trouve un écho puissant dans les compositions aux accents anthropologiques et artistiques de l’exposition.
Les oeuvres, tels des fragments d’une mémoire collective, racontent aussi des histoires humaines. À travers des herbiers photographiques, des fresques vivantes ou encore des objets symboliques, inspirés d’Henri Matisse, l’artiste célèbre les hommes et les femmes qui participent à la préservation du patrimoine naturel. Une photo, par exemple, montre une scène où hommes et femmes incarnent à la fois la force et la grâce dans la végétation avec chorégraphie du labeur.
« Déeyante ak àdduna » s’inscrit dans le cadre du Partcours et des Off de la Biennale de Dak’Art. Ce projet, soutenu par le Fonds de dotation Compagnie fruitière et réalisé en collaboration avec des artisans locaux, illustre les interconnexions profondes entre l’humain et la nature. « Pour Maya Inès Touam, chaque territoire traversé est une matière vivante qu’elle transforme en poésie visuelle », confie Ken Aïcha Sy.
À travers ses œuvres, l’artiste nous rappelle avec puissance la fragilité et la beauté de notre lien avec la nature.
L’exposition ne se contente pas de montrer, elle engage. En suivant les pas de Maya Inès Touam, le spectateur devient un voyageur, invité à naviguer entre les histoires tissées par la terre et les eaux. Pour l’artiste, chaque image est une porte ouverte vers une réflexion plus large sur notre place dans l’univers.
Ainsi, « Les murmures du vivant » transcende l’art pour devenir une véritable expérience sensorielle et intellectuelle. Un voyage où la poésie de l’image et la puissance du récit se rencontrent pour célébrer la vie dans toute sa splendeur et sa complexité.
Adama Ndiaye