Dans le monde du cinéma sénégalais et africain, elle est loin d’être une néophyte. Son visage fait partie des plus connus. Actrice, réalisatrice, scénariste et productrice, Fatou Jupiter Touré s’est tracé son chemin. Elle a su se démarquer par son talent et sa polyvalence, qui se reflètent dans chacune de ses interprétations, et prouver que la passion et le dévouement peuvent ouvrir des portes dans le monde de l’art. Aujourd’hui, Fatou Jupiter, qui fait partie des valeurs sûres du cinéma sénégalais, voit grand. Et son plus grand combat, c’est de veiller à ce que les femmes bénéficient d’une meilleure représentation dans les industries créatives et culturelles.
Si elle n’avait pas fait du cinéma, elle aurait sans doute été journaliste. C’était son rêve d’enfant : présenter le journal télévisé, animer des émissions interactives. Fatou Jupiter Touré a finalement bifurqué vers le septième art, qu’elle a choisi par amour et qui l’épanouit au-delà de ses espérances.
Sa passion lui est venue par hasard, alors qu’elle était étudiante à l’Université Cheikh Anta Diop. « C’est une amie qui m’a fait découvrir l’Atelier de Recherches et de Pratiques Théâtrales Isseu Niang de l’Université. J’y ai adhéré et, deux années plus tard, nos metteurs en scène m’ont parlé du concours de l’école de cinéma Forut Média Centre, que j’ai passé et réussi. Puis tout le reste s’est enchaîné », se souvient-elle.
Titulaire d’une licence en langue et littérature anglaises, Fatou Jupiter Touré a aussi touché au théâtre. Elle a découvert le quatrième art à la fac grâce à l’atelier créé par Lucien et Jacqueline Lemoine et le Pr Ousmane Diakhaté, ancien directeur du Théâtre Daniel Sorano. « J’ai eu la chance de devenir pensionnaire de la troupe du Théâtre national et de la troupe Bou Saana, en France et au Brésil, tout en continuant mes études ».
C’était l’élément déclencheur pour Fatou Jupiter, pour qui être actrice et comédienne ne se présentait pas comme un métier, mais comme un hobby auquel elle s’adonnait après ses cours. Son passage au Théâtre national Daniel Sorano a été l’une de ses meilleures expériences de vie. « Je jouais dans une pièce de Cheikh Aliou Ndao mise en scène par feu Boubacar Guiro, et répétais régulièrement sur une scène où Michael Jackson et tous les grands de ce monde s’étaient produits, en plus de côtoyer des légendes vivantes du théâtre, de la musique et de la danse. Cette expérience m’a beaucoup forgée et inspirée », ressasse-t-elle, nostalgique.
Sa formation au Cinéma Forut Média Centre a été sanctionnée par un diplôme en techniques audiovisuelles, réalisation et communication sociale. « J’ai par la suite touché à beaucoup de métiers du cinéma : j’ai été assistante de production dans la publicité, styliste plateau, ingénieure du son, productrice exécutive… », rappelle-t-elle. Fatou Jupiter s’est ensuite inscrite en master de communication d’entreprise et a travaillé comme responsable des programmes dans une agence.
« C’est la vie », un tournant décisif
Tout au long de sa trajectoire, Fatou Jupiter Touré a joué des rôles très différents. Mais le grand public l’a découverte à travers « C’est la vie », une série télévisée créée en 2015 par Marguerite Abouet. Elle y incarne le personnage d’Assitan. Ce rôle, affirme-t-elle, a été le déclic de sa carrière.
« Ce rôle est arrivé à un moment où je travaillais et m’épanouissais dans la communication, mon autre passion, et j’ai dû faire un choix de carrière dont je suis très heureuse », explique Fatou Jupiter. Devenir Assitan, une sage-femme engagée qui se bat pour les femmes et les jeunes, dans une série diffusée partout en Afrique et dans le monde, traduite dans plusieurs langues et soutenue par une campagne de communication exceptionnelle — notamment les clubs Ratanga et les rencontres avec le public à travers l’Afrique — a été pour elle un tournant décisif.
Fatou Jupiter a réussi à se faire un nom parce qu’elle a toujours su se mettre dans la peau de ses personnages avec la plus grande minutie et une intensité émotionnelle remarquable. Elle a brillé dans la série « Golden », où elle interprète Léna Gaye, ainsi que dans bien d’autres productions, démontrant ainsi son talent d’actrice. Ses performances captivantes lui ont permis de se hisser parmi les actrices les plus en vue.
Chaque rôle, chaque personnage a marqué, à sa façon, Fatou Jupiter — tout comme les rencontres humaines sur les plateaux. « Le rôle de Fatima, un agent secret dans la série ghanéenne « Yelo Pèppè », et celui de Zahra Fall dans « Key&Za » restent très marquants, tout comme le long métrage « Que le père soit » (Ndlr : Fatou Jupiter a reçu le Prix de la meilleure actrice au Festicab 2022, au Burundi), dans lequel je tiens le rôle féminin principal », fait savoir Fatou Jupiter. Pour elle, chaque rôle est un acte de militantisme assumé.
Créatrice de la série « Key&Za », dans laquelle elle interprète Zahra Fall, Fatou Jupiter a le don de capturer l’essence de ses personnages, parfois avec une aisance déconcertante. « Pour moi, « Key&Za », c’est une parole qui se libère, des femmes sénégalaises adultes qui se racontent, une créativité qui s’exprime, un peuple qui se regarde dans un miroir avec ses bons côtés et ses aspects plus sombres. C’est aussi une main tendue, l’espoir que le bien finit par triompher, que l’amitié est une valeur sûre et que les rêves les plus fous méritent d’être poursuivis », fait-elle remarquer.
Et malgré ses performances et ses succès, Fatou Jupiter considère qu’elle ne fait que commencer. « Il y a tant de rôles à jouer, tant d’histoires à raconter, tellement d’aspects du Sénégal à mettre en lumière », estime-t-elle.
Dans son apprentissage, Fatou Jupiter a côtoyé de nombreux réalisateurs aux méthodes de travail différentes. Ces échanges lui ont permis de gagner en expérience. Pour elle, chaque étape franchie dans sa jeune carrière est une satisfaction. « Ce qui me touche particulièrement, c’est l’impact, quand des sujets que j’ai soulevés entraînent des réflexions, des remises en cause, et me donnent l’occasion d’avoir de belles conversations avec des spectateurs rencontrés par hasard », assure-t-elle.
« Je suis honorée quand un jeune me dit qu’il a choisi les métiers du cinéma après avoir participé au festival, mais aussi de savoir que de nombreuses jeunes filles ont été influencées par le personnage d’Assitan et ont choisi de devenir sage-femme ou médecin ; ou encore, qu’elles se sont identifiées à la coiffure afro d’Assitan et ont laissé leurs cheveux au naturel.
Pour une meilleure représentativité des femmes
Avec le personnage de Zahra Fall, certaines se sont senties motivées pour entreprendre, développer un état d’esprit focalisé sur leurs objectifs, découvrir davantage de créateurs sénégalais et se sont mis à fond dans le consommer local, qui est d’une qualité et d’un raffinement exceptionnels ».
Très ambitieuse et soucieuse de promouvoir le cinéma et la culture africains, Fatou Jupiter a initié le festival « Teranga Movies Awards ». En plus de doter le Sénégal d’un événement d’envergure qui attire le monde entier, l’objectif de ce grand rendez-vous culturel, qui met en lumière les talents locaux, est, dit-elle, de participer à la professionnalisation du secteur, de mettre en avant et de récompenser, selon nos propres normes, nos talents et notre résilience.
« Des professionnels du monde entier récompensent les meilleures œuvres. Nous faisons de la formation, de la production, mais aussi connaître les métiers du cinéma et mettons à l’honneur un pays à chaque édition », explique Fatou Jupiter Touré, qui est également fondatrice de la marque de lingerie « Penda Naar » pour préserver l’héritage culturel africain.
« C’est une marque lifestyle qui regroupe mon héritage culturel de Sénégalaise, de Malienne et d’Ivoirienne autour de l’univers de la femme. Dans un style traditionnel moderne, senteurs, articles de séduction, linge de maison, vêtements d’intérieur, bijoux et accessoires sont imaginés pour embellir le quotidien », précise-t-elle.
Passionnée de cinéma et de développement social, Fatou Jupiter est aussi une militante des droits des femmes. Très déterminée, elle s’est, pendant des années, engagée aux côtés d’Onu-Femmes dans leur combat pour un monde plus juste pour les femmes. Elle milite également pour une meilleure place des femmes dans le cinéma. « Nous avons encore beaucoup de places à prendre, et vite. Il faut plus de femmes à des postes de décision : productrices, directrices de production, réalisatrices, distributrices, membres des commissions », affirme Fatou Jupiter, qui soutient que le cinéma sénégalais (longs, courts, séries, sketches) est aujourd’hui dans une bonne dynamique.
Le défi, estime-t-elle, c’est de franchir le cap vers une véritable industrie. « Je pense que ce n’est qu’une question de temps », assure-t-elle.
Son ambition est grande : Fatou Jupiter Touré veut « impacter positivement et massivement à travers le cinéma, l’art, l’éducation et faire briller le Sénégal, afin de rendre plus simple l’entrepreneuriat féminin dans les industries créatives et culturelles ».
Samba Oumar FALL