Toujours internationalement attendues avec angoisse dans la profession, les sélections des différentes sections du prestigieux Festival de Cannes ont été dévoilées. Force est de constater que l’Afrique noire est bien peu présente, contrairement à l’Afrique du Nord, dans cette 78e édition qui se déroulera du 13 au 24 mai.
Après l’embellie de 2023 où l’on avait parlé de « l’année africaine », la rareté des films d’Afrique est de retour. Un seul film du sud du Sahara en compétition officielle : « The History of Sound » d’Oliver Hermanus. Le réalisateur blanc sud-africain est loin d’être un nouveau venu. Il avait déjà remporté la Queer Palm en 2011 avec « Beauty ». Ce deuxième long métrage après « Shirley Adams » avait été sélectionné à « Un certain regard », la section officielle parallèle mais non moins remarquée. Sinon, ses films suivants sont présentés en exclusivité à la Mostra de Venise : « La Rivière sans fin » (2015), « Moffie » (2019) et « Vivre » (2022), un remake très réussi d’un célèbre film du japonais Akira Kurosawa. Hermanus a souvent des histoires d’homosexuels et c’est encore le cas avec « The History of Sound » (l’histoire du son), une romance gay au temps de guerre de 1914-18, où la musique joue un grand rôle, avec des acteurs très en vue dans les rôles principaux : Josh O’Connor et Paul Mescal. Il est extrêmement rare que le cinéma nigérian soit représenté à Cannes.
C’est le cas cette année dans la section « Un certain regard » avec « My Father’s Shadow » (L’ombre de mon père) d’Akinola Davis Jr, sur une réunion familiale durant l’élection présidentielle de 1993, la première depuis le coup d’État militaire de 1983 mais qui a conduit à un nouveau coup d’État. Le réalisateur né en Angleterre a tenu à tourner son premier long métrage de fiction à Lagos. Un vent de dérision bienvenu en ces temps incertains pourrait venir de la Quinzaine des cinéastes avec « Indomptables » de l’humoriste Thomas Ngijol, connu pour avoir coréalisé avec Fabrice Éboué « Case Départ » et « Le Crocodile du Botswanga ». Ce film dont le titre rappelle le fameux « Intouchables » aux 20 millions d’entrées en France met en scène à Yaoundé un commissaire qui peine à maintenir l’ordre. Homme de principe et de tradition, il approche du point de rupture ! Afrique du Nord Il faut ensuite chercher au nord de l’Afrique les autres films. Le retour de la Tunisienne Erige Sehiri avec « Promis le ciel », cette fois à Un certain regard, est une excellente nouvelle tant « Sous les figues » avait été l’événement de la Quinzaine des cinéastes en 2022.
D’une brûlante actualité à l’heure où les migrants africains sont pourchassés en Tunisie, ce film a le courage de prendre pour sujet une Ivoirienne de 40 ans installée dans le pays depuis une dizaine d’années, qui accueille des femmes en situation fragile. Quant à l’Algéro-tunisienne Hafsia Herzi, découverte en 2007 pour son rôle dans « La Graine et le mulet » d’Abdellatif Kechiche, qui lui vaudra un prix à la Mostra et un César ainsi que de nombreux rôles à venir, elle s’affirme réalisatrice après « Tu mérites un amour » et « Bonne mère ». Avec ce troisième long métrage, « La Petite dernière », elle met en scène une jeune Fatima qui s’émancipe mais se met à questionner son identité. Sinon, c’est l’Égypte qui s’impose avec « Les Aigles de la République » en compétition officielle : après « Le Caire confidentiel » et « La Conspiration du Caire », Tarik Saleh, basé en Suède, clôt sa spectaculaire trilogie avec un acteur célèbre que l’on force à prendre un rôle dans un film commandé par les plus hautes autorités du Pays.
D’Égypte également, « Aisha can’t fly away » (Aisha ne peut pas prendre l’avion), premier long métrage de Morad Mostafa à Un certain regard, sur une jeune somalienne qui vit et travaille dans un quartier du Caire où vit une importante communauté de migrants africains. Les autorités en laissent le contrôle aux gangs. Et encore d’Égypte, un documentaire de l’auteur du saisissant « La Vierge, les coptes et moi », Namir Abdel Messeeh, à la sélection Acid : « La Vie après Siham ». Pour garder le souvenir de sa mère disparue trop tôt, Namir enquête sur son histoire familiale entre l’Égypte et la France, une occasion d’évoquer le cinéma de Youssef Chahine entre exil et amour. Hors compétition Les grands festivals se disputent les films et créent des sections supplémentaires pour les attirer. C’est ainsi que Cannes présente des films hors compétition. On relève cette année Highest 2 Lowest de Spike Lee avec Denzel Washington, Ilfenesh Hadera et Jeffrey Wright, où un magnat de la musique, réputé pour avoir « les meilleures oreilles de la profession », est la cible d’une demande de rançon qui l’accule à un dilemme moral, entre vie et mort. Et dans la section « Cannes première » qui regroupe des avant-premières, le Haïtien Raoul Peck présente Orwell : 2+2=5, un documentaire sur l’auteur visionnaire George Orwell dont le roman « 1984 » est encore un best-seller.
Jurys Événement de l’année, la présence du documentariste congolais Dieudo Hamadi au jury de la compétition officielle. Il y croisera l’écrivaine franco-marocaine Leïla Slimani et la célèbre actrice américaine de père africain-américain Halle Berry. À Jury des courts métrages et de La Cinéfondation, on remarque le réalisateur, scénariste et producteur Reinaldo Marcus Green (« La Méthode Williams », « Bob Marley: One Love »), ainsi que la comédienne, auteure-compositrice-interprète Camélia Jordana, petite fille d’immigrés algériens. On trouve, en outre, au jury de la Semaine de la critique, le réalisateur, producteur, scénariste et acteur britannique oscarisé Daniel Kaluuya (vu notamment dans « Get Out » ou « Nope » de Jordan Peele, sortis en 2017 et 2022).
Par Olivier BARLET