À Seleky, la mémoire de Djignabo Bassène, célèbre résistant casamançais à la pénétration coloniale, est restée vivace dans les mémoires.
Un homme revient des rizières « kadjando » sur l’épaule. Une poule déambule dans la cour de la maison sous une fine pluie. Les hommes discutent à haute voix dans une pièce. La fumée qui s’échappe de la cuisine laisse présager que le repas sera bientôt servi. La théière sur le feu donne un peu plus d’agrément à l’instant. Ces tranches de vie, banales en milieu rural, sont des instants de bonheur qu’il faut savoir apprécier. À Seleky comme dans d’autres villages du Bandiale, la vie tourne autour des activités agricoles, notamment la riziculture. La nature y est généreuse. Les populations sont encore attachées à la tradition. Pour aller à Seleky, situé juste après Enampore dans le Bandiale, il faut emprunter une piste cahoteuse bordée de forêts sauvages. On dit que les « ditax » (ditarium senegalense) ont été mystiquement empoisonnés pour stopper l’avancée des troupes de Fodé Kaba Doumbouya dont c’était le dessert favori. Le nom du village se confond avec celui du célèbre résistant casamançais, Djignabo Bassène.
« Contrairement à une version véhiculée par certains, laissant penser que Djignabo habitait l’île d’Elubalir, il est né, a grandi et est mort ici à Seleky », explique Joseph Bassène, chef du village de Seleky, qui compte aujourd’hui huit quartiers. Ayant pris les armes pour résister au colon, Djignabo est tué lors de la fameuse bataille de Seleky, le 1er décembre 1886. On raconte que l’assaut dirigé par Djignabo fit d’innombrables blessés mais surtout occasionna la mort des lieutenants Renaudin, Seguin et Truch, ce dernier étant l’un des éléments français les plus perturbateurs de la zone. D’ailleurs, l’une des rues de Ziguinchor portait son nom jusqu’en février 2022 lorsqu’Ousmane Sonko, alors maire de cette ville, décide de la rebaptiser « La bataille de Seleky ». Une façon d’immortaliser ce haut fait d’armes de la résistance casamançaise. Un guerrier, un chef traditionnel « Il (Djignabo) a été tué ici à l’arrière-cour de sa maison et enterré sur place », précise Joseph Bassène. Comme on est mieux raconté par les siens, il fait venir Khady Bassène, petite-fille de Djignabo. Le foulard solidement attaché sur la tête, laissant paraître un visage émacié, elle a les yeux rougis par la douleur.
« Elle a perdu un fils il y a moins d’une semaine », renseigne le chef du village. Malgré le fait qu’elle porte le deuil, elle a accepté de témoigner, répétant une version séculaire, transmise de génération en génération. « Djignabo était un guerrier, un chef traditionnel [responsable du bukut] et un voyant. Il n’était ni le plus fort, ni le plus âgé du village, mais c’était un guerrier intrépide », raconte Khady Bassène. Elle nous conduit à l’emplacement de ce qui fut la concession du résistant. Un vaste espace peuplé de rôniers et de manguiers au milieu duquel est érigée une hutte recouverte de tôle. « C’était son fétiche [bakin en langue joola]. On a érigé cette hutte pour le protéger de la pluie », renseigne Khady Bassène. Juste derrière, au milieu des arbres géants et des herbes, se trouve la tombe de Djignabo. Aujourd’hui, la sépulture est située au milieu du village qui s’est agrandi. Les habitants désignent le cimetière particulier avec un sentiment mêlé de mystère, de révérence, mais aussi de crainte. En milieu joola, il est déconseillé de visiter les cimetières.
Bakodia, le responsable du fétiche royal d’Enampore qui nous accompagne à Seleky, s’est d’ailleurs abstenu de nous suivre au cimetière. Il avait d’ailleurs tenté de dissuader le chef du village de nous faire visiter l’emplacement de la sépulture. Finalement, Khady Bassène nous y conduit. Une façon de dégager le chemin. Sous un voile de mystère on sent que c’est bien le cœur battant du village de Seleky.
Par Gaustin DIATTA, Seydou KA (textes) et Ndèye Seyni SAMB (photos)