Quand on la voit jouer, on l’aime. Mais quand on l’aime, où doit-on la voir ? À l’écran, dans des productions audacieuses où elle brille par sa justesse. « Dans Mon beau village », « Ni chaînes ni maîtres » ou « Gavagaï », elle impose un jeu nuancé, profond, porté par une technique déjà remarquable pour son jeune âge. Née en 2000 à Popenguine, Anna Diakhère Thiandoum a été révélée très tôt dans « Mon beau village », avant de confirmer son talent dans la série Walabok. Formée à l’École internationale des acteurs et actrices de Dakar (Eiad), elle trace aujourd’hui une trajectoire singulière dans le cinéma sénégalais, guidée par une passion viscérale et un sens aigu de l’incarnation.
Il est des êtres qui ne demandent pas la lumière, ils la portent en eux. Des présences si entières, si profondément habitées, qu’elles transforment chaque espace qu’elles traversent. Anna Diakhere Thiandoum est de cette étoffe rare. On peut pousser un ouf de soulagement sans regrets, c’est une Isseu Niang redivivus. Elle n’est pas devenue actrice. Elle l’était bien avant de poser le moindre pied sur un plateau de tournage. Comme si le cinéma l’avait attendue. Comme si l’image n’avait trouvé son souffle qu’en elle. Tout commence à Popenguine. Non pas comme un simple point de naissance, mais comme un lieu d’origine symbolique.
Popenguine, avec ses plages ourlées de lumière, ses rochers battus par l’Atlantique, ses légendes portées par le vent. Là-bas, à l’ombre bienveillante de Coumba Cupaam, entre les éclats de rire d’une enfance modeste et les rêveries marines, Anna Diakhère Thiandoum voit le jour en 2000. Une année charnière, un passage vers un nouveau siècle. Déjà, peut-être, un signe. C’est au creux de ce village où la mer enseigne l’humilité que se noue le pacte invisible entre Anna et l’image.
À 12 ans, elle joue dans « Mon beau village » aux côtés de Robin Chiuzzi et Omar Sène. Film modeste en apparence, mais pour elle, tout commence là. Quelque chose surgit. Quelque chose d’irréversible. Elle ne récite pas un texte, elle ne simule pas une émotion, elle est. Elle fait partie du décor, du souffle, du mystère. La caméra la cherche, la trouve, la choisit. On ne sait pas encore si elle comprend tout ce que cela signifie. Mais quelque chose d’essentiel est scellé. « C’est un talent que je ne me connaissais pas, mais les expériences m’ont permis de le féconder », argue-t-elle. Anna grandit entre les ruelles de Popenguine et les images que le cinéaste Moussa Sène Absa projette sur les murs du réel. « Tableau Ferraille », « Madame Brouette », autant de balises dans la mer de sa conscience. Elle découvre qu’un film n’est pas qu’une fiction, mais une manière d’exister, de résister, de rêver à haute voix.
Le cinéma devient pour elle une langue secrète, une respiration parallèle. Elle franchit le Rubicon Elle s’y jette. À dix-huit ans, elle joue dans la série « Walabok », gagne en rigueur, en endurance et en subtilité. Elle commence à comprendre la mécanique du cadre, du rythme, du regard, etc. Mais Anna ne se contente jamais d’apprendre. Elle explore. Elle traverse chaque rôle comme on explore un pays inconnu, avec respect et abandon. Puis vient l’année 2023. L’année de la métamorphose.
L’année de « Ni chaînes ni maîtres », production de Chi Fou Mi, avec le réalisateur Simon Moutaïrou qui lui offre un rôle à la mesure de son intensité. Elle y incarne Mati, une jeune esclave marronne en quête de liberté sur l’Ile Maurice. Un rôle incandescent, dense, exigeant, qui demande tout. Et Anna donne tout. Elle est Mati jusqu’au bout des ongles, jusqu’au fond du regard. Elle ne joue pas la douleur, mais la transperce. Elle ne mime pas la fuite, elle court avec l’histoire aux talons. De Dakar à Paris, des champs de canne à sucre de l’Ile Maurice aux salons parisiens, elle incarne la mémoire en mouvement, le combat sans fin. Et le public, critique comme spectateur, découvre une actrice foudroyante.
« Ce film était charnier pour moi. C’était à la fois un moment de révélation et d’ancrage », juge-t-elle. Anna Diakhère Thiandoum impose ici une puissance de jeu rare, faite de maîtrise technique et d’instinct animal. Elle comprend le silence comme d’autres comprennent la parole. Elle sait que le vrai frisson naît souvent d’un simple regard, d’un refus de parler. « Ce film m’a aussi appris à moins me rebeller et plus convaincre », confesse la comédienne.
Elle laisse le corps parler, la tension s’installer. Elle fait confiance au vide. Sabaly dont la sortie est prévue en juin suit, la même année. Film coproduit par Astou Films et Birth Production. Elle continue d’imposer sa présence. Puis vient « Gavagaï », en 2024, produit par Kolonko Studio et Astou Films. Anna s’y engage comme une danseuse sacrée. Elle est cette actrice qui ne dépend d’aucune réplique pour exister. Elle est regard, vibration, présence nue.
Ce parcours, elle le doit à un talent inné, mais aussi à un choix courageux. Après avoir abandonné ses études d’ingénierie juridique à l’université de Bambey, victime des perturbations répétées, elle choisit de se consacrer entièrement au cinéma. Elle rejoint l’École internationale des acteurs et actrices de Dakar (Eiad). Là, elle se forme. Elle travaille. Elle taille sa propre langue. Elle ne voulait pas aller ailleurs, elle voulait grandir ici, sur sa terre, dans sa langue, avec ses maîtres. Née pour ébranler le monde « Mon plus grand souhait était d’être formée au Sénégal, auprès des siens. C’était important pour moi », confie la jeune comédienne. À l’Eiad, elle affine son jeu.
Elle apprend à canaliser l’émotion, à dompter l’impulsif, à transformer la rage en densité. Elle étudie les grands, admire Ibrahima Mbaye Thié, Rokhaya Niang, Rouba Seye, Lamine Ndiaye. Mais elle ne les imite jamais servilement. Elle les écoute. Elle s’en inspire. Elle les prolonge. Anna Diakhère Thiandoum, aujourd’hui, est plus qu’une promesse. Elle est une nécessité artistique. Un éclat venu du fond du pays. Une actrice qui ne joue pas pour séduire, mais pour habiter. Pour dire ce que d’autres taisent. Pour porter haut les voix étouffées, mais ce qui frappe chez Anna, c’est son don inné, cette profondeur d’âme qui ne se cache jamais derrière des masques, mais qui, au contraire, transparente avec une force démesurée.
Il y a dans ses yeux une histoire racontée, dans ses gestes une tension palpable, une fusion entre elle et ses rôles, qui lui confère une puissance incomparable. Anna ne se contente pas de jouer, elle revêt la peau de son personnage. Elle devient l’âme même qu’elle incarne. Ce n’est pas du jeu, c’est de l’art vivant, et cette fusion avec le personnage n’est pas le fruit du hasard, mais bien celui d’une maîtrise parfaite de la technique.
Elle est de ces comédiennes qui élèvent l’écran, qui l’humanisent, qui le transforment en miroir sacré. Et Popenguine peut sourire. Car dans chaque pas qu’elle pose sur un plateau, dans chaque silence qu’elle fait vibrer, dans chaque personnage qu’elle embrasse, il y a un peu de sel, un peu de vent, un peu de mer. Il y a l’enfance. Il y a l’avenir.
Amadou KEBE