Il y a eu le génocide. Il y a l’après-génocide. L’après a démontré, continue de démontrer, que « renaître de ses cendres » n’est pas une qualité exclusive du phénix. Les peuples le peuvent, le Rwanda l’a fait, Pape Alioune Dieng et Atelier18 l’illustrent.
C’est la voix de Cheikh Lô qui occupe les oreilles. Puis, une kora et celle de Oumar Pène. Histoire de remplir le vide. Bientôt, tout se calmera. Voix et images provenant du film de Pape Alioune Dieng occuperont yeux et oreilles, rempliront cet espace du Musée des Civilisations noires qui se peuple petit à petit de Rwandais, de Sénégalais… d’Africains. « Ejo Tey » est projeté ce 2 juillet 2025. Dix-neuf heures et quarante-six minutes, Toubab Dialaw : eaux et voix ! C’est un certain Abdarahmane Ngaïdé qui va raconter cette histoire de « Téranga au pays des mille collines ». Le voilà donc, qui s’envole vers son « pays de pèlerinage ».
Rwanda, 1994, Hutus, Tutsis… et le mot. Ce mot… L’enseignant-chercheur a son bâton de pèlerin, qui rencontre ceux-ci et ceux-là, qui racontent ceci et cela. La nuit est complète dehors, la salle de projection ne s’illumine que d’écran, l’attention des spectateurs est absorbée par la narration du pèlerin et la parole des témoins. Le montage de Laure Malécot combine le tout. Une voix raconte comment elle a fui le pays des mille collines, une autre décrit ses premiers moments à Dakar. L’écran qui devient tout à fait noir parfois imprime des dates dans les regards.
Il imprime aussi dans les oreilles l’écho de mille et un cris d’humains dont le sang a rougi mille et une machettes. Ça ne se montre. Ça se raconte. Pape Alioune a décidé de montrer par les témoignages le génocide tutsi. « Parce que tout d’abord, les humains n’ont pas le droit d’oublier. Ils ont tout le temps le devoir de se souvenir. C’est un génocide qui s’est passé il y a à peine trente ans. C’est le dernier grand génocide du siècle et il semble que dans nos pays, il y a beaucoup de gens qui ne connaissent pas cette réalité », soutient-il.
Politique mémorielle Faire connaître alors, est l’une des visées du documentaire de M. Dieng. Et de la bouche de Boubacar Boris Diop qui y apparaît, on entend l’expression « politique mémorielle ». Primordiale, qui est, parce que grâce à ses résultats, le génocide n’a pas été qu’un « évènement évanescent ». Les séquences qui se projettent dans l’obscurité du Mcn en témoignent : arbres et pierres, çà et là au Rwanda, portent des traces de ce qui s’est passé il y a trois décennies. Dans une de ces pierres, on peut lire : « Genocide, never again ». Plus jamais. « Ejo Tey » se raconte et se filme entre le Sénégal et le Rwanda.
Pourtant, il y a une grande part de Mauritanie. En effet, la clé de lecture, « pour ceux qui veulent vraiment comprendre la profondeur du film, c’est de justement faire abstraction d’Abdarrahman Ngaïdé en tant que corps, mais prendre le quelconque qu’il aurait pu être, ayant vécu ce qu’il a vécu et qui témoigne sur quelque chose », dit le pèlerin à lunettes blanches. Un ange qui s’appelait Mbaye Diagne… Qui poursuit : « Je suis historien, donc j’ai utilisé la mémoire du génocide pour parler de quelque chose qui aurait pu aboutir à un génocide. Avril 1989, nous avons vécu vraiment une traque comme ce que les Rwandais ont vécu. Attention, je ne compare pas les douleurs, une douleur ne se compare pas, mais l’essentiel c’est de comprendre que nous avons des leçons à apprendre chez des individualités qui ressemblent à Abdarrahman Ngaïdé ».
Il a alors quitté un pays, rejoignant un autre, afin de « se reconstruire une nouvelle humanité ». Aussi, l’enseignant qu’il est ne saurait faire abstraction de cette déchirure historique qui est sienne, et à partir de laquelle il réfléchit « aujourd’hui pour bâtir de nouveaux avenirs ». Il ne souhaite à personne de vivre ce qu’il a vécu ! « Genocide, never again » ! La caméra se promène et exhume des souvenirs, certains giclant de mémoires humaines, certains étant muets, mais pleins de bavardage. Certains, comme ces murs criblés de balles laissés en l’état. Le pèlerin à lunettes sillonne le pays d’Afrique centrale. Il est tantôt dans une université, tantôt chez des artistes. Il se rendra à Nyanza, et à Murambi, discutant avec l’auteur du « livre des ossements », il pleura… L’historien pleura… et dire que des enseignants ont aussi participé à l’horreur, ainsi que la tristement célèbre radio des mille collines. « Cafards », lit-on sur l’écran. « Cafards », pour désigner ces autres-là. Mais au milieu du drame des archives en papier et sonores, jaillit une lumière. Mbaye, son prénom.
Diagne, son nom. Mbaye Diagne, comme le nom d’un héros venu du Sénégal et fêté désormais au Rwanda. Le documentaire de Pape Alioune Dieng lui rendra un hommage appuyé. Ce héros, non, cet ange ! « Nous, témoigne une rescapée, on était condamnés à mourir ». Mais le capitaine était là, « comme un ange que Dieu avait envoyé pour me sauver ». Le pèlerin à lunettes blanches de dire, concernant M. Diagne : « Je crois que Mbaye Diagne mérite encore aujourd’hui une reconnaissance plus sérieuse, pour qu’on puisse confirmer davantage la devise de l’armée sénégalaise, qui est « On nous tue, mais on ne nous déshonore pas ». « Détricoter une certaine narration du continent » Et il n’a pas déshonoré le Sénégal, puisque tout Sénégalais qui débarque aujourd’hui à Kigali ou au Rwanda, s’il prononce le nom de Mbaye Ndiaye, il est intégré automatiquement ».
Pape Alioune Ndiaye, pour sa part et avec sa réalisation, rend hommage à ceux qui l’ont précédé dans le travail sur la mémoire concernant ce douloureux chapitre de l’histoire rwandaise. Ainsi le voit-on ramener à la vie Samba Félix Ndiaye, en intégrant des passages de « Rwanda pour mémoire » (2003) dans son « Ejo Tey ». Dans ce dernier, témoigne aussi le vieux Bara Guèye, un Sénégalais qui a le Rwanda comme second pays. Lui a vu les machettes, lui a vu le sang, comme bien d’autres yeux. Et, tel que le dira Pape Alioune Dieng, empruntant l’idée d’une des protagonistes, « c’est un pays qui rend fier », le Rwanda. « Qui permet de détricoter une certaine narration du continent ».
Le Rwanda rend fier, car il symbolise le résilience. Le mot sera lâché par M. Dieng et les images en apportent la preuve. Les rues sont fleuries, les buildings sont sortis, les villes se dressent fièrement, dirigées vers l’avenir, les populations s’y épanouissent. « Ejo Tej » n’est pas un documentaire. C’est de l’encre, c’est une plume, c’est une écriture. Hommes de science et Hommes d’art, ainsi que tous les autres, doivent écrire « une nouvelle page de la mémoire de notre continent, parce que personne ne le fera à notre place ». Conviction de Pape Alioune Dieng. Autre conviction : le documentaire a plu. Un peu plus d’une vingtaine de minutes après vingt-et-une heures, une salve d’applaudissements se déverse dans l’espace qui a accueilli l’avant-première du documentaire.