Personnalité artistique fascinante. Germaine Acogny est une figure emblématique de la scène artistique du continent. Dans sa magie, elle a su dompter le corps pour imprimer des cadences uniques qui connectent toutes les cultures.
Loin de la lumière flatteuse des médias, Germaine Acogny a évolué tel un soleil pour illuminer la scène artistique du continent. En Afrique, la grande dame est le héraut de la danse moderne. Une discipline qu’elle a façonnée et réadaptée pour l’offrir au monde dans un hymne au rythme de la diversité.
Germaine danse pour l’humanité ; elle danse pour modeler un dialogue entre les chorégraphies de l’Afrique et celles des autres parties du monde. Son parcours est celui de toute une vie dédiée à la formation, à la chorégraphie et au développement d’une danse africaine contemporaine. Portée par une magie transformant l’énergie du corps humain en un espace d’harmonie et d’expression, la chorégraphe a su, au crépuscule de son existence, s’imposer comme l’une des personnalités africaines les plus emblématiques de ce siècle.
Dans sa brillante carrière, Germaine Acogny a reçu tous les honneurs. Célébrée comme une immortelle pour servir d’exemple à d’innombrables générations d’Africains ainsi qu’à la postérité. L’exposition de l’artiste conceptuel sénégalais Mansour Ciss Kanakassy, intitulée « Sargal/hommage à Germaine Acogny », actuellement en cours, à la Maison d’Afrique à Saly, est la énième consécration à l’honneur de « cette mère » de la danse africaine contemporaine. Ouverte jusqu’au 16 mars, cette exhibition explore le travail de la danseuse et chorégraphe. Ceci, grâce à la puissance des mouvements de danse initiés à Mudra Afrique, l’école que Germaine Acogny a brillamment dirigée entre 1977 et 1982, en qualité de directrice artistique.
Créée par Maurice Béjart et le président et poète sénégalais Léopold Sédar Senghor, cet établissement artistique devrait permettre de faire en sorte que cette première manifestation artistique de l’homme ne finisse par perdre de vue son but. Avec l’appui de Germaine Acogny, Mudra Afrique était manifestement un moyen de préserver cet art classique d’un populisme « gênant » pouvant lui ôter son sens originel, sa pureté.
Promouvoir un cosmopolitisme
C’est en découvrant Senghor qu’elle tombe vite sous le charme de ses vers imbibés dans la profondeur des cultures du monde noir. Germaine Acogny choisit de faire du poème « Femme noire » extrait du recueil « Chants d’ombres », une chorégraphie qu’elle présente, dès 1972, au public sénégalais du Théâtre national Daniel Sorano.
Dans un contexte de promotion de la culture sous l’impulsion du président Léopold Sédar Senghor, elle eut avec celui-ci d’excellents rapports. Dans l’œuvre de la journaliste Laure Malécot : « Germaine Acogny, danser l’humanité » publiée aux Editions Vives voix, Marie-Angélique Savane informe que la danseuse franco-sénégalaise a eu « la chance de rencontrer Senghor, qui était devenu son mécène et avait compris que Germaine est porteuse d’un message qui dépassait le cadre d’une femme qui se cherche ». Aussi, ajoute-t-elle, Acogny pouvait « promouvoir un cosmopolitisme, une universalité, mais surtout, une modernité de la danse africaine, qu’on ne connaissait pas encore ».
Après son diplôme d’éducation physique et de gymnastique de l’École Simon Siegel de Paris, au mitan des années 60, la chorégraphe met, très jeune, sa passion au service des autres. Elle enseigne au Lycée Kennedy de Dakar, et elle crée dès 1968, son premier cours de danse.
Profitant de l’influence des danses « qu’elle a héritées de sa grand-mère, un prêtre yoruba, ses études des danses traditionnelles africaines et des danses occidentales (classique, moderne) à Paris et à New York, Germaine Acogny crée sa propre technique de danse africaine moderne ». Au fil du temps, son répertoire est fait de spectacles portant sur les cultures africaines, les faits d’actualité et de société. Ce répertoire est, aujourd’hui, la mémoire de la chorégraphie du continent. « Coumba, Amoul ndeye », « Yewa, eau sublime », « Mon élue noire », « Les écailles de la mémoire », « Fagaal »… les œuvres de Germaine sont le symbole de son engagement indéfectible au profit de l’humanité, de son pays et de l’Afrique.
Passeuse d’humanité
En mettant en place l’École des sables de Touba Dialaw, Germaine Acogny poursuit, depuis 1998, sa mission de passeuse d’humanité. C’est d’ailleurs ce symbole fort qui résume toute sa trajectoire artistique. Quand en 2021, la danseuse recevait « Le Lion d’Or » à la Biennale de Venise, elle rappelait à juste titre que son œuvre, elle l’a commencée dans la cour de sa petite maison à la rue Raffenel, à Dakar-Plateau, il y a plus de 50 ans. Celle-ci, ajoutait-elle, « se poursuit aujourd’hui, à l’École des Sables, qui est le fruit d’un parcours riche en expériences, comme Mudra Afrique, créé par le Président Léopold Sédar Senghor et Maurice Béjart et dont elle été la directrice pendant sa brève existence ». « L’École des Sables, dont le nom officiel est Centre international de danses traditionnelles et contemporaines d’Afrique, est un lieu d’espoir et de lumière pour les danseuses et danseurs de toute l’Afrique. Nous espérons que cette reconnaissance aujourd’hui nous offrira de nouvelles perspectives qui nous permettront de continuer », faisait-elle remarquer au moment de recevoir ce prestigieux prix. Lequel intègre les nombreuses distinctions reçues durant sa prolifique carrière et parmi lesquels le Prix d’excellence de la chorégraphie décerné par la Cedeao, le Chevalier de l’Ordre du Mérite, l’Officier et Commandeur de l’ordre des Arts et Lettres, le Chevalier et Officier de l’Ordre de la Légion d’Honneur en France, mais aussi le Chevalier de l’Ordre national du Lion, l’Officier et Commandeur des Arts et Lettres au Sénégal.
La dernière récompense reçue, il y a quelques semaines, par cette « reine » de la danse africaine, est le Prix Nonino « Maître de Notre Temps ». Une consécration « en reconnaissance de son immense contribution à la danse contemporaine et à la culture mondiale ». Malgré son âge, Germaine telle une muse, continue de créer et d’inspirer.
Par Ibrahima BA