On ne s’attardera pas sur la vieille question de savoir si l’émotion est nègre, car, il est certain que la raison, l’élégance et la finesse d’esprit sont « Hélène ». Riche d’un roman bien accueilli par la critique et une œuvre encore en chantier, Hélène Bernadette Ndong, est de ces jeunes écrivains qui, tel un bourgeon de printemps, éclot et promet à la littérature sénégalaise son nectar et une fleuraison éclatante. Scientifique de formation, sortie du Lycée d’excellence de Diourbel, elle a su traduire la rigueur des équations dans son premier roman « L’innocence de Tamara », écrit avec une poésie baudelairienne en filigrane.
La beauté d’Hélène, fille de Zeus et de Léda, mit jadis le feu aux murailles de Troie. Ronsard, à son tour, grava dans ses vers « un sonnet pour Hélène », quand René Guy Cadou l’attendit parmi les prairies, aux aubes de givre et de lumière. Aujourd’hui, c’est la littérature sénégalaise qui s’avance à sa rencontre. Hélène Bernadette Ndong, surgie comme une figure attendue, dont le roman se dresse tel un levier d’Archimède, capable de soulever plus que des pages, tout un imaginaire. Sur l’île de Mar Lodj, où les pirogues bercent les songes et où la mémoire se transmet au rythme des marées, une petite fille apprend à voir le monde sous le regard de sa grand-mère. Cette enfant, née à Dakar un 23 novembre 2004, s’appelle Hélène Bernadette Ndong. Elle passera ses premières années au creux des eaux et des palétuviers avant de rejoindre Toubacouta, village où sa mère enseigne toujours. Là, elle poursuit ses études primaires et secondaires, avant que son chemin ne la mène au Lycée Scientifique d’Excellence de Diourbel, puis à l’École Polytechnique de Thiès où, depuis 2022, elle se forme au génie civil. Mais derrière l’architecture des chiffres et la rigueur des plans, une autre construction s’élabore. Il s’agit d’une plume qui cherche sa forme. Son goût des mots, pour elle, est né d’une rencontre fortuite. En sixième, Hélène entend parler d’un roman, « Nini, la mulâtresse du Sénégal » d’Abdoulaye Sadji. Par curiosité, elle se tourne vers la bibliothèque de son collège. Là, c’est « Maïmouna », traçant des arabesques à côté de Yaye Daro qui se présente à elle. Ce premier livre agit comme une brèche. D’autres suivent, « Une si longue lettre » de Mariama Bâ, « La collégienne » de Marouba Fall et les pages d’Aminata Sow Fall. Très vite, ses horizons s’élargissent.
« Ces lectures du collège m’ont profondément marquée et ont façonné ma vision du monde », confie-t-elle. L’adolescente s’attache aussi à des récits venus d’ailleurs. On y voit l’amitié poignante de « L’ami retrouvé » de Fred Uhlman, la voix fragile du « Journal d’Anne Frank », l’univers tragique d’Heinz Günter Konsalik, entre autres. Au fil de ces découvertes, des voix résonnent plus intensément. Fatou Diome d’abord, qui incarne pour elle une force de lucidité et d’affirmation de soi, pour qui, « Chaque miette de vie doit servir à conquérir la dignité », retient-elle comme un mantra. Puis Mohamed Mbougar Sarr, dont l’œuvre contemporaine lui paraît audacieuse, incisive, en prise directe avec le réel et « Terre Ceinte » en demeure son coup de cœur. Enfin, au-delà des frontières, une figure universelle éclaire ses méditations. Il s’agit d’Albert Camus. « Parce que l’existence est absurde et Camus est mon penseur préféré », dit-elle, guillerette. Ses lectures de « L’Étranger » et « La Chute » laissent en elle une empreinte indélébile. De lectrice, elle devient scriptrice. « C’est en Seconde, à 15 ans, que j’ai commencé à m’intéresser à l’écriture. D’abord des poèmes, esquissés dans des carnets, puis des pages où j’essayais d’interroger la vie. C’était Cette « fièvre philosophique » des années de lycée », confesse la jeune écrivaine. De ce bouillonnement littéraire est né un premier roman intitulé « L’Innocence de Tamara ». « À vrai dire, lorsqu’on me demande d’où il m’est venu, je ne sais pas exactement quoi répondre », dit-elle comme tous les primo-romanciers. « C’est une histoire d’un vécu, d’une part et de l’imaginaire d’autre part. Le thème s’impose de lui-même. Le pardon. « Pardonner nous est souvent difficile », glisse-t-elle, et « Écrire devient alors une manière d’affronter ce qui blesse et de tendre la main au possible ». Son écriture s’attache à traduire les réalités sociales et culturelles africaines, parfois pour les dénoncer, toujours pour les éclairer. Femme, elle donne à son genre une place essentielle dans ses récits. « Au-delà des jérémiades sur la place très peu flatteuse à laquelle nous sommes souvent assignées, il s’agit de prévaloir un droit à l’existence et à la dignité », a-t-elle plaidé. Sa plume, encore jeune, se veut déjà témoin et affirmation. Hélène sait aussi qu’elle appartient à une génération placée sous l’ombre immense de ses devanciers. « Ce qui caractérise cette nouvelle génération d’écrivains, c’est une nécessité de s’affirmer dans un domaine encore largement dominé par les spectres illustres des prédécesseurs.
Une écriture nouvelle, promue et reconnue, est le défi présentement ». Elle avance avec humilité : « J’espère en tout cas que mes écrits, d’une manière ou d’une autre, auront une utilité pour les lecteurs ». Aujourd’hui, elle a choisi le silence comme promesse. « Je marque une pause pour lire et apprendre davantage », dit-elle. Elle nomme cette étape une « hibernation », non pas un retrait, mais un temps de gestation. Dans dix ans, espère-t-elle, sa plume sera « plus mûre, féconde et fécond ». La phrase s’interrompt, et entre les lignes, on devine qu’elle sait que les mots, parfois, ont besoin de silence pour grandir. Ainsi se dessine Hélène Bernadette Ndong, jeune ingénieure en devenir, mais déjà habitée par la certitude que l’écriture est une autre forme d’architecture.
Par Amadou KÉBÉ