Dans la République très, très, très démocratique du Gondwana, il n’y a que lui. Il est président-fondateur, et il est tout. Même enseignant-là, c’est lui. Grammaire, Histoire et Géographie, c’est lui-même qui enseigne. Mais puisqu’on y rit, c’est déjà ça.
Dans la voiture, c’était lui, son père et Mamane. Plutôt, la voix de Mamane. Tsiky Rahagalala était alors plus jeune, et lorsque papa le conduisait au collège, il y avait Mamane pour égayer la route. Plutôt, les chroniques de Mamane sur Rfi. Entre-temps, le Malgache a grandi, a rejoint Dakar pour le travail. Le collégien d’avant n’a pas pour autant oublié la voix de la voiture. Ladite voix, d’ailleurs, se produit en spectacle au Grand Théâtre de Dakar. Et voilà un Tsiky Rahagalala qui sourit : enfin, il aura du Mamane hors radio. Et pour un temps qui va au-delà d’une seule chronique. Il s’installe à la sixième rangée. Et la salle se remplit. La musique, la fumée, le blabla, l’attente, l’ambiance. L’artiste arrive, on rira. On rira, paradoxalement, d’un spectacle qui se dit, du moins dans son intitulé, « pas drôle ». Dakar, 2025, le 13 du mois de juin. Vingt-et-une heures, silence s’il-vous-plaît…mais ce n’est pas encore Mamane. C’est le Dakar Comedy Club. Ça interagit avec le public, ça enchaîne les sketchs, ça sourit, ça applaudit. Ça parle des Macron, de Biya, ça annonce le ton du Monsieur qui sait tout du Gondwana. À cinq minutes de 22 heures, le voilà qui arrive, le président de la très, très, très démocratique République du Gondwana. Mamane et son « Histoire pas drôle de l’Afrique » investissent le plancher. Il entre en scène sur du Pookie, du Aya Nakamura, please ! Choix politique. La Nakamura avait été choisie pour interpréter Édith Piaf lors des Jo de Paris (2024). Pour Marine Le Pen, c’était « une provocation supplémentaire d’Emmanuel Macron ». Pour Mamane, c’est assez pour faire rire.
Et bien sûr, le Gondwana est très structuré comme République. Comme toute République qui se respecte, il a un hymne. Bon, un hymne à la Mamane quoi. Après tout, il en est le président-fondateur et peut tout s’y permettre. Il peut même se permettre des élections à demi-tour ! Explication ? Bah, il fallait venir voir le spectacle. Il peut même se permettre d’avoir un prix Nobel pour le type d’électricité qu’il a créé. « Le délestage », ça s’appelle. Système sanitaire, système carcéral, système politique : les sujets à propos du Gondwana se succèdent. Éclats de rire et applaudissements s’alternent. Mais, autant le président-fondateur fictif cherche à consolider un système taillé pour ses désirs, autant Mamane faire rire de lui pour pointer sa bouffonnerie. Ce rire qu’il produit est anti-système.
Mon ami, nous, on regarde seulement…
Plancher ! La voix qui accompagnait Tsiky est là, qui gesticule, règle la tonalité de sa voix en fonction du sujet et prend possession de l’espace. Il maîtrise son art et n’a pas besoin qu’on lui dise « the stage is yours ». Il maîtrise son texte et son public boit ses mots. Débit, chute, rire. Débit, chute, applaudissements. Débit, chute, rires, applaudissements. Et le texte est traversé d’un affectueux « mon ami », pour…lui seul sait. Et il en sait, des choses pointues sur l’histoire, sur la géographie qu’il met en musique dans un esprit qui rappelle le « castigat ridendo mores ». N’est-il pas risible, cet autre du Tunis, qui dit : « j’ai toujours rêvé de visiter l’Afrique » ? Mamane rit de lui et fait rire de lui, de même que de l’actuelle situation Musk-Trump. Que dire de ces deux-là, Mamane ? Rien : « nous, on regarde seulement », dit celui que certains surnomment « parrain » du rire africain. Les nationalités d’Afrique et d’ailleurs sont en tout cas amassées devant ces bottes, ce pantalon, cette chemise, cette tête bien entretenue et cette tête bien faite qui empile les sujets. Le fameux « mon ami » est encore là, comme un connecteur logique qui fluidifie le texte.
Plancher ! Mamane regarde le plancher, comme pour chercher quelque chose jetée sous ses yeux par on ne sait qui. Il ne cherche rien. Il contemple le Niger, les Congo, le Sénégal, la Mauritanie, la Tunisie, la France, la Turquie, le Danemark, le Madagascar ou encore cet autre pays qu’il surnomme « a le droit de se défendre ». Il contemple le tout avec la froideur d’un analyste et la légèreté d’un humoriste. Parce que Mamane, « c’est un humour un peu sarcastique, mais toujours très juste, très vrai, qui dépeint une triste réalité mais avec humour », disait Tsiky Rahagalala avant le début du spectacle. Plancher ! Mamane n’y est pas seul. Outre les lumières qui l’enveloppent et subliment sa noirceur, il y a avec lui les sons. Ce sont à la limite des personnages, des voix, qui content des ambiances. C’est celui qui dit village, c’est celui qui dit île. Le public a même eu droit à du Cesária Evora. Sodade, Sodade.
Indépendance chacha
Cette « Histoire pas drôle de l’Afrique » que Mamane narre n’est pas que de mots mis sur les maux du continent. C’est, aussi, une archéologie de la grammaire qu’on a pour dire l’Afrique. La grammaire des médias, par exemple. Aux Jeux olympiques, entendre « il court comme une gazelle » fait ainsi penser à l’athlète africain. Dira-t-on « il saute comme un kangourou », concernant celui d’Australie ? Mamane interroge. Il répond. On rit. « Sarcastique » et « très juste » et « très vrai » et « qui dépeint une triste réalité » : les qualificatifs de l’humour mamanien selon Tsiky Rahagalala. Et voilà le mannequin qui « marche comme une panthère ». Mdr…
Bien sûr, la grammaire que les Africains ont pour se désigner. Il y a Africains et Panafricains. La différence entre les deux est la même qu’il y a entre pharmacie et parapharmacie. « Dans une pharmacie, on te vend des médicaments. Dans une parapharmacie, on te vend tout sauf des médicaments ». Il y a Panafricains et Panaficanistes. Et, « les panafricanistes vivent des panafricains » : sur leurs passeports français ou suisse, à la rubrique profession, explique Mamane, ils mettent Panafricain ». Lol, salve d’applaudissements !
Cette grammaire change selon l’époque. Aujourd’hui, « si tu es Africain, et que tu es dans un bateau sur la Méditerranée, tu n’es plus Africain, tu es migrant ». Dans un passé pas si lointain que ça, cet Africain était invité, sans visa, le ticket de transport étant gratuit. Mais, c’est parce qu’il s’appelait « Tirailleur sénégalais… ». Ainsi Mamane dissèque-t-il les noms de l’Africain selon les époques d’une Histoire, c’est vrai, pas si drôle que ça. Mais, qu’il arrive à raconter…pas comme un historien, mais comme le président-fondateur du Gondwana qu’il est. Le Gondwana est très structuré comme République. Et comme toute République qui se respecte, il a un hymne. Un hymne à la Mamane quoi, qui ouvre et ferme. À quelques minutes de minutes cependant, on entend « Le Grand Kallé » et l’African Jazz chanter leur « Indépendance chacha ». Parce que le président-fondateur avait fait une annonce avant que la salle ne se vide. Après son « Histoire pas drôle de l’Afrique », ce sera « Les indépendances ». Les oreilles ont entendu, ils attendent ces indépendances. Les visages sortent de la salle illuminés par le rire. Tsiky Rahagalala n’a pas commenté, à la fin du spectacle. Ce que dit son visage suffit.
Moussa SECK