Photographe et cinéaste émergent, Ibrahima Khalil Ndoye, alias Meureuk, façonne une œuvre sensible entre tradition, poésie urbaine et quête de vérité intérieure. C’est un jeune qui s’est légué à l’art. Meureuk (sardinelle en wolof) a jeté un pont entre le cinéma et la photographie pour narrer des histoires et bercer des imaginaires. Sa vision est plurielle, son engouement idéal.
Il est fidèle à son art tout comme il l’est à sa torpédo. « Meureuk » est certes un poisson « populaire », mais n’eut été ses os encombrants, seul un nabab aurait le pactole qu’il vaudrait. Imaginez un poisson dans l’eau. Si ce n’est les luttes biologiques qui s’y opèrent, le poisson ne risque pas de se noyer. C’est exactement de la sorte que Meureuk vit dans le cinéma et la photographie. Dans ces deux arts, Ibrahima Ndoye, malgré son caractère d’ermite et de taiseux, il émerge comme un nénuphar qui bourgeonne. Aussi loin de pasticher les anciens, il croise le surréalisme de Djibril Diop Mambety et la factualité de Ousmane Sembene. Il aurait sans doute récusé ces qualificatifs dans une rebuffade presque intempestive. Sa modestie est un secret de Polichinelle. Né dans les marées tranquilles de Kayar, un village où les vagues de l’océan Atlantique s’étreignent à l’horizon, Ibrahima Khalil Ndoye, alias Meureuk, est un enfant des eaux, un être façonné par l’éternelle danse des vagues et le souffle du vent.
Kayar, terre de pêcheurs et de traditions, est le berceau d’un regard unique qui, loin des tumultes citadins, a pris le temps de scruter les âmes. C’est ici, entre l’étreinte douce de la mer et l’ombre bienveillante des ancêtres, que Meureuk forge sa vision du monde. Enfant de pêcheurs ayant grandi sous le bruissement du ressac qui fracasse, il est ce goéland migrateur, à la quête de la vie et du salut spirituel. Il est de ces hommes, qu’un complot de hasards mène dans un ailleurs dont il s’attendait le moins, Ibrahima Ndoye est celui que le cinéma a happé et hameçonné, comme un poisson dans un filet à petites mailles, pour ainsi dire. On serait ainsi en mesure de dire que si Dieu n’avait pas fait le cinéma, il ne l’aurait pas fait, lui qui ne vit que pour cela.
Au commencement était la passion…
C’est à Cinebanlieue qu’il est initié au cinéma en tant que producteur pour la 12e promotion dont il fait partie. « Cette école m’a donné ce qu’il fallait et j’essaie d’en faire quelque chose d’intéressant », affirme le célibataire. Il a pris le temps de se former, malgré les maigres moins qu’il avait à bord. L’anecdote qu’il aime à raconter incessamment est celle des jours où il passait à l’Institut français de Dakar pour se documenter et de retourner à la fin de chaque journée à Guédiawaye, parfois sans aucun sou dans les poches. Il le raconte avec gaité et fierté. Ses virées d’intellections se faisaient avec des amis qu’il chérit et qui lui ont insufflé ce désir ardent du cinéma. Dans sa bouche, ces noms sont rebattus : James Mendy, Moussa Sow, Abdou Sané, « Papa Nanga » …, ceux-là avec qui il partage la sève de l’art et de la fraternité, sans oublier sa bande d’amis intellectuels qu’il appelle affectueusement « les gens du « Lemonde » », de saints moqueurs. Pour ses amis, le mot est un. Khalil, c’est la générosité personnifiée.
« Le lévirat », pour une première
Si l’on devait chercher les premiers fils de l’art de Meureuk, c’est dans la littérature que l’on trouverait l’origine de son regard aiguisé. Le fondement de cette passion pour les images découle de ses diverses lectures. En ce sens, il affirme « C’est à Thiès où j’ai fait dans mon lycée que je fréquentais une bibliothèque du nom de « Nduro Té Wouté ». Laquelle bibliothèque a façonné ma vision du monde. J’y ai connu Sembene Ousmane et une bonne partie de la production de l’intelligentsia africaine ». C’est cette culture, en fait, qui l’a amené à s’intéresser au cinéma et plus tard à la photographie. La photographie, pour lui, c’est l’art de révéler ce qui est invisible, de capter l’abstrait qui réside dans l’ordinaire. En scrutant les visages, en isolant les gestes anodins, en capturant ces instants fugaces, il s’invite dans l’intimité des autres, créant des portraits où l’âme semble se dévoiler sans fard. Ses photos ne sont pas de simples documents, mais des fenêtres ouvertes sur des vies, des réalités qui, souvent, échappent à l’œil distrait. Le clair-obscur dans ses œuvres, qui joue le rôle de messagère, elle fait émerger les contours du non-dit, éclaire la vérité cachée derrière la façade de la quotidienneté. « La photographie est une échappatoire pour moi. C’est aussi cet autre médium qui me permet de traduire ma pensée, sans le dire », a-t-il confié. Ainsi, en toute chose, Meureuk ne recherche pas la vérité apparente, mais celle qui se cache dans le silence des gestes, dans la profondeur des regards, dans la vérité du cœur humain. Cette quête devient, dans ses films, la même recherche de sens et de lumière. Meureuk, dans l’ombre de son objectif, semble être un passeur d’âmes urbaines, un alchimiste des rues qui, à travers le noir et blanc, extrait l’essence brute de l’existence humaine. Ses photographies, réduites à la pureté d’une palette dépouillée de toute couleur, deviennent des portraits silencieux du monde dans sa forme la plus élémentaire et la plus crue. Le noir et blanc, loin d’être une simple absence de couleur, s’érige ici en langage d’émotion, en voie d’accès direct à l’âme des choses. C’est une lumière qui révèle ce que l’œil ordinaire n’aperçoit pas. À travers cet univers monochrome, Meureuk cherche à voir plus profond.
En 2023, Meureuk fait une entrée remarquée dans le monde du cinéma avec « Le Lévirat », un film qui n’est ni une simple critique sociale ni un récit linéaire. « C’est une exploration du fondement même des traditions, un regard qui scrute les vies suspendues entre l’héritage et le désir de liberté. Mais au-delà de la tradition, c’est l’histoire d’une âme prise entre deux mondes, celui de la famille et de l’honneur, et celui de la liberté et de l’émancipation individuelle », explique l’assistant-réalisateur. La question du lévirat est un dialogue intime avec la tradition, une invitation à observer ce que ces rites imposent à ceux qui les vivent. La mise en scène de Meureuk se veut épurée et minimaliste. À l’image de la photographie, le film joue avec la lumière et l’ombre, jonglant entre ce qui est dit et ce qui ne l’est pas. Ibrahima Ndoye s’est également illustré dans plusieurs productions cinématographiques en tant qu’assistant-réalisateur. Il s’agit, entre autres, de la série « C’est la vie », « Playgame » et de « Takandeer », etc.
Capturer le monde
Ses images sont des fragments d’un quotidien spontané, des instants suspendus dans le fil du temps. La banalité se fait sublime et le trivial se teinte de poésie. La rue, pour Meureuk, est un lieu de métamorphose où les hommes, les femmes, les objets et les ombres se fondent en une seule harmonie chaotique. Ses photographies ne sont jamais des « portraits » au sens classique du terme. Elles sont des plongées dans l’intimité des rues, des ballets d’ombres et de lumières, des vies anonymes qui, pour un instant, deviennent des héros de l’instant. Le visage flou d’un passant, la raideur d’une vieille porte, l’esquisse d’un chien errant. Tous les détails se gravent dans l’immobilité de la photographie comme un poème sans mots.
La technique, chez Meureuk, n’est qu’un outil au service de la vision. Ce n’est ni la précision ni la perfection qui intéressent l’artiste, mais bien le mouvement de la vie, l’instant s’élève. Il capte la lumière qui danse sur les pavés, les éclats d’ombres qui se glissent sous les réverbères, et, souvent, il choisit de laisser la scène inachevée, comme pour inviter celui qui regarde à participer à l’histoire.
Son travail évoque cette quête intemporelle de la beauté dans l’ordinaire, ce qui, sous un autre regard, pourrait paraître insignifiant. La magie de Meureuk, c’est de savoir arrêter le temps et de transformer chaque image en une mélodie silencieuse, où les notes sont tissées dans l’intensité des contrastes et dans la densité des ombres. À travers son art, il nous rappelle que la poésie n’est pas qu’un univers de mots, mais aussi un monde d’images où chaque instant peut se faire œuvre et témoignage de notre humanité partagée.
Par Amadou KEBE