Il suffit que quelqu’un le fasse pour que d’autres ressentent l’envie de le faire. Il suffit qu’une influenceuse se mette à courir dans une rue pour que la fièvre contamine beaucoup d’autres rues. Il lui suffira d’enfiler une robe qui balaie la rue de la mise en scène pour que les coureurs par mimétisme sortent les draps. Une étincelle dans la savane des algorithmes et c’est le feu dans les réseaux sociaux.
Minuit et l’Université Cheikh Anta Diop ne dort pas. Pas étonnant, puisque dans cette ville dans la ville de Dakar, le temps coule d’une manière différente. Mais, en ce mardi 21 janvier, qui voit ses premiers instants naître sous les étoiles et les lampadaires, il y a quelque chose d’insolite qui se trame. Étudiants et étudiantes sont dehors, amassés des deux côtés de la route principale du campus social. Ils regardent le spectacle : des étudiants et des étudiantes se couvrant de draps, courant. Que ça ? Que ça ! Ça, est une réplique, une réponse de Cheikh Anta Diop à Amadou Makhtar Mbow. C’est une réplique, celle des étudiants à des centaines de créateurs de contenus, qui ont fait la même chose et qui ont diffusé leur « exploit » sur les réseaux sociaux. Et le tout n’est qu’imitation d’une vidéo faite par une influenceuse : Faynara. Et tout semble s’expliquer : c’est ainsi qu’une vidéo devient virale, c’est ainsi qu’un individu devient une personne suivie sur les réseaux sociaux, c’est ainsi qu’il construit au fil du temps une « communauté » constituée de « followers ». Des suiveurs donc qui s’abonnent à son compte, « likent » ses publications, les partagent et rajoutent de la notoriété à sa notoriété. Une évidence : l’influenceur est devenu quelqu’un d’incontournable dans ce vingt-et-unième siècle du tout numérique et du tout réseau. Ici comme ailleurs…
Ngor, à quelques mètres de la corniche, un matin, une brise marine. Au troisième étage d’un immeuble qui donne une vue impeccable sur la mer, les bureaux d’une agence. Booster Talent accroche sur ses murs quelques décorations. L’une d’elles dit l’esprit et la mission du bureau. On y voit des visages connus dans ce qu’on pourrait appeler le TikTok sénégalais et tout ce beau monde collabore avec l’agence que dirige Abou Lô. « Le métier d’influenceur est devenu un secteur à part entière. Les influenceurs ne se contentent plus de partager des contenus ; ils construisent des marques personnelles, développent des stratégies de contenus et mesurent l’impact de leurs actions.
« Chômeurs », aviez-vous dit ?
Ce professionnalisme attire des investissements et des opportunités de carrière, ce qui en fait un métier à part entière ». « Métier », a-t-il dit et répété. « Professionnalisme », a-t-il souligné. Révolu, alors, le temps où la création de contenus était considérée comme un simple loisir par les uns et une perte de temps par les autres. Quitter l’étape passe-temps pour celle de travail à plein temps suppose avoir une idée claire. Cela suppose par conséquent une structuration, et c’est ce qui a motivé la mise sur pied de Booster Talent. « La création d’une agence dédiée aux influenceurs s’est imposée comme une nécessité dans un paysage numérique en constante évolution ». Parce que ceux-ci « jouent un rôle clé dans la communication et le marketing d’aujourd’hui », les accompagner revient à « les aider à se professionnaliser, mais aussi à offrir aux marques une expertise pour naviguer dans cet écosystème complexe » du numérique et « cela permet de créer des collaborations authentiques et efficaces entre les influenceurs et les entreprises ».
Ici, on en est à accompagner les influenceurs. Ailleurs, on en est à se faire accompagner par ces stars des réseaux. Le Monde, après l’élection de Trump, a trouvé ce titre : « la victoire de Donald Trump est aussi celle des influenceurs conservateurs, de Joe Rogan à Adin Ross ». Le journal écrira encore : « Dans la nuit de mardi à mercredi, nombreux ont été les vidéastes pro-Trump à célébrer l’issue du scrutin américain sur les réseaux sociaux, y voyant un signe de leur « impact » ». Mister Trump déclarera : « Je veux rapidement remercier quelques personnes : les Nelk Boys, Adin Ross, Theo Von, Bussin’With The Boys et enfin le puissant Joe Rogan ». Le journal français y rajoute : « Autant de noms que n’aura pas forcément reconnus l’intégralité des Américains pendus à leurs écrans en cette nuit d’élection, mais qui ont pourtant alimenté, ces derniers mois, une puissante galaxie d’influenceurs soutenant la candidature à la Maison Blanche du milliardaire ». This is Usa et tel est l’état actuel du monde !
Retour au Sénégal. Et que n’a-t-il pas fallu faire pour s’imposer ! Pour ne serait-ce qu’imposer son existence au sein des réseaux sociaux. Il a fallu oser et faire la sourde oreille. C’est, en tout cas, ce qui s’entend dans le discours de Samba Kane. Il est là, dans ce bureau près de la corniche, tantôt en discussion avec les collaborateurs, tantôt plongé dans l’écran de son téléphone. Samba Kane, qui connaît ce nom ? Mais, quand on dit Drizzy, on sait bel et bien de qui il s’agit. Son surnom, le hashtag qui le précède, les petites phrases qu’il produit ont fini d’inonder les téléphones de milliers… De millions de Sénégalais ? Au début pourtant, était la résistance. Et la résistance était du côté des conservateurs. Et la résistance était vraie. « Je me rappelle qu’on nous traitait même de chômeurs, lorsqu’on commençait à tweeter ». Twitter en son temps, X aujourd’hui, était réfractaire au genre de tweets (de motivation et d’humeur) que Drizzy et autres émettaient. « Parce qu’on disait de Twitter que c’était le réseau des intellectuels ». Telle est alors la raison qu’on avançait pour justifier le refus des publications Ovni. Mais l’Xosphère d’aujourd’hui ne se fait pas sans les « chômeurs » d’hier que rejetaient systématiquement les « sérieux » et les « intellectuels ». On ne sait ce que sont devenus ces derniers. Noyés dans la masse d’anonymes que connaît le désormais réseau social de Elon Musk ? On ne sait. On sait par contre que Samba Kane (tapez President_Drizzy pour retrouver son compte) pèse 346.320 abonnés sur X. Telle personnalité du pays le suit. Le suit telle institution du pays. Le suivent une autre et un autre et d’autres et mille autres… Suivis, certes, mais, les influenceurs de Jolofland semblent moins valorisés que ceux d’ailleurs. Ailleurs, on considère mieux, on paie mieux l’influenceur, fait remarquer Monsieur X. Ailleurs, pas les États-Unis ou l’Europe. Ailleurs, juste à côté : au Congo, en Côte d’Ivoire, au Maroc, au Rwanda…
Moussa SECK