Il se prénomme Jacques et a trouvé à Dakar le lieu idéal pour mener une vie tranquille. Il s’appelle Jacques Trouvé et sculpte pour gagner sa vie. Il déshabille les blocs pour tailler des nues. Il sculpte la nudité pour chanter la vie.
Papa était bijoutier, maman sortait du conservatoire, en chant. Jacques a ainsi trouvé, dès le plus jeune âge, un environnement familial qui transpire l’art et la création. Jacques Trouvé, lui, deviendra sculpteur, et ses enfants hériteront de ce dont il a hérité de ses parents. Dans la famille Trouvé, on ne cherche pas trop. Et il faudra bien chercher du regard pour déceler dans sa barbe touffue un brin de noir. Vieux, le Jacques ! Pas vieux dans l’esprit, et toujours de la vivacité au bout des doigts.
Le décor du salon du monsieur est en partie composé de livres. Une bibliothèque, comme il y en avait d’ailleurs dans la demeure familiale de celui qui est né en 1944, à Caen. Et il faut aussi dire que c’est du père Trouvé que Jacques héritera l’idée de Dakar. « Comme mon père avait été dans la marine, il avait fait la côte africaine. Et il parlait toujours de Dakar », souligne-t-il. C’est alors vers la capitale sénégalaise que le mènent les vents, lorsque l’envie de bouger prit celui qui a fait les Beaux-Arts de sa ville de naissance, ceux de Paris et a habité dans une carrière en Italie… pendant dix ans.
Xalam 2, Fabienne Diouf et la fabrique d’argenterie
Dans l’atelier aménagé chez lui, un bas-relief, bien protégé par un tissu. Du marbre dans lequel il est réalisé, se détachent des formes. L’idée du bas-relief exprime d’ailleurs éloquemment sa vision de la sculpture, qui consiste à déshabiller un bloc jusqu’à déterrer l’image qui y est ensevelie. Le bas-relief accroché au mur est bien particulier. Ce sont des rondeurs, ce sont des cheveux, ce sont des chairs : ce sont des femmes… nues qui le peuplent. Nues, mais pas sexualisées. Nues, mais anonymisées. Nues et, bizarrement, pas si sensuelles que ça… Jacques Trouvé ne cherche visiblement pas à provoquer le scandale Gustave Courbet avec son Origine du monde. Représenter la femme, chez Jacques, n’a rien du voyeurisme. Il y a d’abord quelque chose de pratique : « La figure humaine qui me plaît le plus, c’est la femme, parce qu’il y a une série de courbes qu’il n’y a pas dans l’homme. L’homme, c’est plus une colonne… ».
Il y a ensuite quelque chose qui est de l’ordre de l’émerveillement : « Les seins qui allaitent, ça contribue à la vie ; les hanches, où il y aura le fœtus, qui va donner la vie ». Enfin, ceci de profondément humaniste : « Ce que j’essaie de représenter, c’est justement l’émotion que j’ai devant la création, devant l’enfantement. C’est merveilleux. Nous, en tant qu’hommes, on peut être jaloux des femmes, parce qu’on n’a pas cette possibilité. Justement, on est obligés de chercher par la création quelque chose que la femme a en elle ».
La femme inspire alors Jacques, qui trouve aussi inspiration chez d’autres artistes : son bas-relief tient beaucoup du Jardin des délices de Jérôme Bosch. Dakar, pour le natif de Caen, a donné la possibilité de transmettre le savoir acquis à l’école, ainsi que l’expérience accumulée en tant que bourlingueur. La dolérite de Kédougou Il rencontrera en effet René Guèye, premier directeur sénégalais de l’Ecole d’architecture de Dakar, qui lui annonce chercher un professeur de volume. « Je me dis pourquoi ne pas tenter l’expérience ? L’architecture, c’est de la sculpture. Et puis je suis resté, j’ai travaillé pendant cinq ans à l’école. Après, la première année a été assez difficile parce que, disons que j’ai fait du bénévolat… ». Dakar, pour le natif de Caen, a aussi permis de nouer des relations.
Il rencontrera en effet des artistes dans un autre domaine. « Lorsque j’étais à l’école d’architecture, j’habitais à Liberté 6, et la maison d’à côté était occupée par le groupe Xalam 2. Et ils passaient peut-être plus de temps chez nous que chez eux. Ils étaient là continuellement. Et donc il y a eu cette amitié avec le groupe, en particulier avec Prosper et Henri, qui étaient les plus assidus à la maison », rappelle-t-il. Dakar, toujours, lui offre la possibilité de nouer des partenariats. Il rencontrera, via Henri Guillabert, Fabienne, fille du président Abdou Diouf, qui lui parla de son envie de monter une fabrique d’argenterie.
Définitivement installé à Dakar depuis 1997, Jacques Trouvé vit avec une Sénégalaise, qui le taquine en disant de son Jacques qu’il est le plus fauché des toubabs… Seulement, il ne s’est pas installé au Sénégal pour rester à Dakar. Il est allé hors capitale, à Kédougou. Là-bas, une carrière. Et, une illustration de la sagesse italienne qui dit : « Apprends et mets de côté ». Le travail d’extraction de la pierre, appris par l’action durant ses dix ans d’habitation dans une carrière, lui servira au Sénégal. Et Kédougou a encore une dimension de spectacle dans les souvenirs du monsieur.
Ses yeux le peignent, sa voix sculpte encore cette falaise qu’il a fait visiter à un (potentiel) client italien : « Lui avait fait une commande de 3000 mètres cubes par an, à 750 euros le mètre cube ». Mais, au bout du bout, rien : Monsieur X, avec qui le partenariat devait se nouer, avait préféré investir ses sous dans sa carrière politique plutôt que de développer une activité économique autour d’une carrière de dolérite. Vice d’apprendre, hantise d’achever Monsieur Trouvé se rappelle cet épisode en en riant. Espoir de revoir le projet repris ? En tout cas, « aujourd’hui, les prix de la dolérite sont plutôt aux environs de 1000 euros le mètre cube. C’est un matériau qui ne se dévalue pas, au contraire, il prend de l’importance ».
La dolérite ne se dévalue pas, mais on ne peut pas en dire autant du corps humain. Celui du tailleur de pierre ne chancelle certes pas, mais n’est plus aussi vigoureux qu’avant. Il y a toutefois, chez Jacques, une volonté d’esprit qui s’entête à tirer son corps des griffes de la vieillesse. De la lecture se nourrit l’esprit, et le fait de parsemer son discours de citations montre que Jacques n’a pas une bibliothèque que pour faire genre. Henri Matisse, cite-t-il alors : « On ne peut pas s’empêcher de vieillir, mais on peut s’empêcher de devenir vieux ».
Sourire. On croit entendre derrière ce sourire Alphaville chanter Forever Young. Jacques Trouvé parle de « vice » et de « hantise » : du vice de vouloir apprendre, qui le maintient jeune ; de la hantise de ne pas mener à terme les choses entamées. Et il a une hantise particulière : celle de voir rouverte l’école d’architecture de Dakar qui l’a accueilli en 1976. Rouvrir ? Peut-être réactivée ! Parce que, selon ce que raconte cette mémoire des belles heures de ladite école, cette dernière n’a officiellement jamais été fermée ! Longue histoire…
Moussa SECK