Samedi 15 février 2025, une vidéo deepfake prétendant être un commentaire de RFI sur un rapport de la Cour des comptes a circulé massivement sur les réseaux sociaux, suscitant l’inquiétude. Jean-Marc Four, Directeur de RFI, dénonce une « usurpation d’identité » visant la « politique intérieure sénégalaise ».
Le Soleil Digital : Quel commentaire faites-vous concernant le deepfake de ce weekend impliquant RFI et France 24 ?
Jean-Marc Four : Cela confirme que rien n’arrête les faussaires malveillants1. C’est un faux caractérisé qui imite les logos de RFI et France 24, mais ni RFI ni France 24 n’ont jamais dit ou écrit cela. Le format et le ton ne sont pas les nôtres. Il est difficile de dire si la voix est artificielle ou celle d’une personne lisant un texte. Il n’y a pas de nom de journaliste ni de date.
LSD : Est-ce que ce sont ces détails qui vous ont alerté ou avez-vous très tôt vu la vidéo ?
JMF : J’ai été alerté du fait que cette vidéo circulait sur les réseaux sociaux au Sénégal. Face aux faux qui usurpent notre identité – et nous ne sommes pas les seules victimes – nous évaluons l’ampleur de l’écho. Si l’écho est faible, nous ne faisons rien pour éviter de donner de l’importance à la fausse information. Si la fausse information circule de façon importante, nous réagissons en faisant une mise au point sur nos environnements numériques. Nous savons que le démenti peut avoir moins d’écho que la fausse information de départ. La vitesse de circulation d’une fausse information est environ 6 à 7 fois supérieure à celle d’une information vraie.
LSD : Ce faux a été fait dans un contexte politique particulier au Sénégal. Est-ce que cela vous inspire un commentaire supplémentaire ?
JMF : La fabrication et la diffusion d’informations ont au moins deux cibles : le média dont l’identité est usurpée et les personnes visées dans le contenu. Il y a forcément une cible de politique intérieure sénégalaise.
LSD : La deuxième cible vous a contacté ? Avez-vous eu à échanger avec le gouvernement sénégalais ou des représentants ?
JMF : Non, personnellement pas du tout. Nos équipes à Dakar ont eu quelques échanges rapides avec certains élus sénégalais, mais sans plus de détails.
LSD : Quel dispositif avez-vous mis en place pour faire face à ce type de situation ?
JMF : Nous avons un dispositif global de fact-checking avec une cellule dédiée à RFI et France 24. Nos équipes utilisent des techniques modernes comme la recherche inversée d’images. Nous avons une procédure d’alerte interne à France Médias Monde. Dès que quelqu’un repère une info suspecte, il alerte et nous décidons si nous devons réagir ou non.
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LSD : Quelles sont les conséquences de telles pratiques pour vos médias ? Y a-t-il des problèmes de crédibilité ou autres ?
JMF : La production d’une fausse information qui usurpe notre identité va atteindre en partie sa cible. Même dans le meilleur des cas, il y aura toujours des gens qui resteront convaincus que c’était vraiment nous, et notre crédibilité baissera auprès d’eux. Une fausse information nous nuit toujours, soit un peu, soit beaucoup. Fabriquer une information avec les techniques modernes peut prendre quelques minutes, alors que la déconstruire prend de nombreuses heures. La technologie favorise le faussaire.
LSD : Est-ce que ces différents degrés de nuisance peuvent vous conduire à porter plainte ?
JMF : Oui, nous l’avons déjà fait. Nous portons plainte lorsque l’intégrité physique d’un collaborateur est menacée. Porter plainte ne mène pas toujours à quelque chose, mais nous le faisons quand même.
LSD : Dans le cas d’espèce, il n’y aura pas de plainte si je comprends bien ?
JMF : À ce jour, il n’y a pas de plainte déposée car nous ne sommes pas dans un cas de menace pour l’intégrité physique d’un de nos collaborateurs. Nous pourrions porter plainte tous les jours car notre identité est usurpée constamment.
LSD : On est dans un contexte géopolitique très mitigé entre l’Afrique et la France. Est-ce que cela ne peut pas porter préjudice aux médias vu que vous avez une forte audience en Afrique ?
JMF : Le contexte de tensions politiques entre certains gouvernements et le gouvernement français est exact9. De nombreuses populations africaines revendiquent plus d’autonomie et de souveraineté, et c’est une très bonne chose. Nous sommes des spectateurs de cette situation, et certains nous prennent pour des boucs émissaires. Dans RFI, il y a le F de France, mais nous n’allons pas l’enlever9.
LSD : Les fake news se multiplient au Sénégal comme en Afrique. Comment l’expliquez-vous ?
JMF : Il y a deux explications majeures. Premièrement, dans l’immense majorité des pays d’Afrique, les fake news sont d’origine russe. Quand on remonte la piste, on finit toujours par trouver un point RU au point de départ. Deuxièmement, les grands réseaux sociaux aux mains de network américains laissent circuler n’importe quoi. Nous sommes pris entre Washington et Moscou. La vraie réponse passe par l’éducation des gens et la régulation par les gouvernements.
LSD : Quelle est la réponse que vous proposez en tant que média français ou européen face à cette guerre technologique ?
JMF : L’Europe est en retard en matière de création technologique digitale. La réponse n’est pas de mon ressort, mais la position des Européens est l’éducation à l’information et la régulation. L’Union européenne a mis en place les nouvelles directives européennes DSA sur la régulation des réseaux sociaux.
Moussa DIOP et Cheikh Tidiane NDIAYE