Des figures emblématiques restent aujourd’hui inconnues de la nouvelle génération. Pourtant, elles ont fait l’histoire. Et de la plus belle des manières. C’est l’exemple de la brave et vénérée dame de Gossas, Mame Maty Demba Sy, petite sœur d’El Hadji Malick Sy, le saint guide religieux de Tivaouane et propagateur de la Tidjaniya au Sénégal. De son vivant, Mame Maty a mené des actes nobles et salutaires comme l’accouchement de femmes, la prise en charge psychologique de personnes en détresse, la régulation sociale… Après plus d’un siècle vécu sur terre, la sœur bien-aimée de Maodo repose paisiblement, depuis 1970, au quartier Keur El Hadj de Gossas.
Un demi-siècle s’est écoulé et l’ombre de Mame Maty Demba Sy continue de planer sur la ville de Gossas. Particulièrement sur le mythique quartier de Keur El Hadj, à l’extrême est de la commune. Un endroit égayé par les nombreux arbres qui, au quotidien, bercent de leur ombre les âmes qui y vivent. Ici, le civisme trouve tout son sens. Au-delà de la quiétude qui y règne, le quartier éblouit par sa salubrité à nul autre pareil. Dans cette ville, la propreté est rigoureusement de mise. À cela s’ajoute l’aspect environnemental avec le reboisement de plantes un peu partout.
À une dizaine de mètres de la mosquée, une rangée de margousiers longe la rue qui traverse le quartier. L’édifice religieux semble nouvellement construit. Du moins, il a fait peau neuve. Un bijou pour le plaisir des yeux peint en vert et blanc. Surplombée de part et d’autre par deux minarets, cette jolie mosquée se fait entourer de plantes récemment reboisées. Sans compter bien sûr les arbres qui lui servent d’ombre. Cette découverte du quartier Keur El Hadj coïncide avec le lancement des journées du civisme et de la citoyenneté initiées par le préfet du département. Ce qui explique la présence de plusieurs personnes aux activités de reverdissement de ce quartier fort d’environ trois cents habitants. Le moins que l’on puisse dire, Mame Maty Demba Sy est l’absente la plus présente durant cet exercice de reboisement. Qui était-elle vraiment ? Qui était cette femme qui rend aussi fière à toute une communauté ? Autant de questions pour en savoir plus sur ce personnage historique.
Ici, Mame Maty Demba Sy est plus qu’une icône. C’est un symbole dont l’histoire fait l’objet de discussions à longueur de journée. De prime abord, son patronyme attire la curiosité intellectuelle et rappelle le saint homme El Hadji Malick Sy. L’une des figures emblématiques sénégalaises les plus marquantes du XIXe siècle. L’érudit de Tivaouane. Le propagateur de la Tidjaniya au Sénégal. L’éducateur hors-pair. L’excellent poète du Prophète Mouhamad (Psl). Justement, cet homme multidimensionnel est le frère aîné de Mame Maty Demba Sy. Les deux « soldats » de l’islam sont issus de parents du même père et de la même mère. Autrement dit, Mame Ousmane Sy, le père d’El Hadji Malick, et Mame Amadou Sy, celui de Mame Maty, sont de mêmes père et mère. Mame Maty, une icône au quartier Keur El Hadj…
Parmi les notables qui ont pris part à la journée de reverdissement de Keur El Hadj, il y a Makhtar Sy, l’un des imams (dirigeants de prières en islam) du quartier. Le troisième dans la hiérarchie. Né en 1954, il est un petit-fils de Mame Maty Sy. À soixante-onze ans, son menton laisse pousser naturellement une barbe dense et toute blanche. D’une grande humilité, le vieil homme, toujours accroché à son chapelet, parle à voix basse, mais avec beaucoup de maîtrise du sujet. « Mame Maty est ma grand-mère. Toute la famille est fière d’avoir comme aïeule cette femme qui a passé toute sa vie à œuvrer pour Dieu », souffle-t-il. Un témoignage poignant qui a attiré la curiosité de quelques badauds qui étaient de passage.
Probablement, le saint nom de Mame Maty Demba Sy les a retenus. Ils regardent ainsi avec beaucoup d’intérêt et d’affection le religieux s’exprimer. Ce dernier, visiblement nostalgique, fait ressortir une certaine émotion à travers la voix qui tremblote. Une scène qui attise émotion et mélancolie. Armé de la discipline légendaire que l’on reconnaît aux disciples tidjane, Makhtar Sy évoque avec précision et fidélité un pan de l’histoire de Mame Maty. D’après lui, sa grand-mère a habité le quartier Keur El Hadj sur ordre de son grand frère El Hadji Malick Sy. C’est d’ailleurs pourquoi le quartier porte le nom de ce dernier. Keur El Hadj, en référence à El Hadji Malick Sy.
Ainsi, après avoir fondé ce célèbre quartier de Gossas, le saint homme choisit sa petite sœur pour s’y implanter. Comme son frère, Mame Maty a cultivé la terre durant son séjour à Keur El Hadj. Selon les témoignages de l’imam Makhtar Sy, la brave dame fut une personnalité très aimée et respectée dans le quartier. Ce, du fait de son humanisme et de sa disponibilité légendaire. « Elle était très proche de la population. Les gens qui étaient submergés par les soucis de la vie venaient se confier à elle. Mame Maty a infatigablement œuvré pour la quiétude des cœurs », témoigne-t-il.
Ainsi, on peut constater que la sainte femme était une bonne nouvelle pour ce quartier reculé du centre-ville de Gossas. Comme le fait savoir Baba Sarr, natif de Keur El Hadj et directeur d’école, « dans ce quartier, les femmes se sont toujours distinguées à travers des actions de bienfaisance et la plus célèbre est sans doute la brave dame Mame Maty Demba Sy que nous continuons de donner en exemple ».
Toujours reconnaissants vis-à-vis de leur vénérée grand-mère, les habitants de Keur Elhadj organisent annuellement des récitals de Coran en sa mémoire. Une accoucheuse inégalée À un peu moins de 200 mètres de la mosquée du quartier se trouve la demeure où vivait Mame Maty Demba Sy. Une route sablonneuse mène à ce domicile qui abrite une partie de la mémoire de Keur El Hadj et de Gossas d’une manière générale. Tout près du portail, deux vieilles mamans échangent avec beaucoup de courtoisie. Aussitôt interpellées au sujet de la brave dame, elles rompent brusquement la discussion. « Bienvenue à la maison de Mame Maty que voici », avance l’une d’elles, en pointant du doigt le domicile. En franchissant le seuil, on fait face au bâtiment où vivait la sœur de Maodo (sobriquet d’Elhadji Malick Sy).
Naturellement, la pièce a vieilli avec le temps. Le mur usé, le toit décrépi. Sa propriétaire, rappelée à Dieu en 1970, a atteint la centaine avant de rendre l’âme, 110 voire 115 ans d’existence, si on s’en tient aux estimations de son petit-fils, l’imam Makhtar Sy. Mame Maty aura été d’un apport remarquable pour les femmes enceintes. Dans le quartier, elle est le symbole d’une matrone aguerrie. Grande accoucheuse, elle aurait reçu ses qualités de la Grâce de Dieu. De son vivant, elle a aidé une multitude de femmes à accoucher sans grande difficulté. Selon sa petite-fille, Rokhaya Ndiaye, la vénérée dame a réussi à faire accoucher, avec succès, plus d’une centaine de femmes.
D’ailleurs, rappelle Mme Ndiaye, les autorités de l’époque ont tenté de la recruter comme sage-femme, totalement convaincues de ses qualités. Cependant, pour son grand frère, il n’en était pas question. Tout, sauf accepter une telle proposition. Pour El Hadji Malick Sy, Mame Maty ne doit absolument pas sacrifier cette noble mission que Dieu lui a assignée. C’est ainsi que, d’après Rokhaya Ndiaye, le saint homme oppose son veto en ces termes : « Que rien au monde ne te pousse à accepter cette offre. Continue dans le bénévolat. Tu es en train de rendre service à Dieu. C’est la meilleure voie que tu as empruntée ».
Mame Maty, quant à elle, ne s’est pas posé de questions. Elle obéit sur le champ. Cet épisode de la vie des deux aimés de Dieu est l’une des preuves que Maodo avait une affection profonde pour sa sœur. Et vice- versa. D’ailleurs, cet amour fraternel profond s’est perpétué avec la famille du saint homme. D’après l’imam Makhtar Sy, Rokhyatou Sy, fille de Maodo et sœur à Abdoul Aziz Sy Dabakh (un des illustres fils de Maodo), venait fréquemment à Gossas pour rendre visite à Mame Maty. Et à chaque fois, elle y faisait un long séjour avant de retourner à Tivaouane. Mieux, Serigne Babacar Sy, fils de Maodo et premier khalife général des Tidjanes, surnommé Cheikhal Khalifa, était le bras droit de Mame Maty Demba Sy. En plus de son honorable métier d’accoucheuse, la dame de Keur El Hadj était aussi une régulatrice sociale.
Elle était au four et au moulin en faveur de la paix et de la cohésion de la cité. D’une grande taille, selon ses petits-fils qui l’ont connue, Mame Maty avait le cœur sur la main. Non seulement sociable, elle était aussi animée d’un sentiment d’affection énorme. Comme toute relation entre grands-parents et petits-enfants, Mame Maty se faisait embêter par ses petits-fils dont Ndèye Niang qui garde encore les souvenirs de cette atmosphère familiale agréable. « Nous lui chipions souvent sa monnaie ou sa nourriture. Alors que je l’ai connue quand elle ne marchait plus à cause du poids de l’âge, je me souviens qu’elle nous chassait avec son long bâton qui ne la quittait presque jamais. Elle était vraiment de bon cœur. Elle ne manquait de rien, car les gens venaient lui rendre visite en lui apportant toute sorte de nourriture ou d’objets nécessaires », raconte Mme Niang.
Autant dire que Mame Maty Demba Sy aura été une personne affable, mais surtout pieuse, comme son illustre grand frère Seydi El Hadji Malick Sy. Aujourd’hui, cette grande dame n’est certes plus de ce monde, mais son œuvre est encore d’actualité. Ainsi, d’après les témoignages, plusieurs personnalités religieuses de notre pays ont pris part à ses funérailles. Thierno Seydou Nourou Tall, Abdoul Aziz Sy Dabakh… Tous, ont accompagné la bien-aimée Mame Maty Demba Sy dans sa dernière demeure en 1970.
El Hadji Fodé SARR (Correspondant)