C’est quand même frappant la pauvreté des programmes de nos télévisions. Ça ne fait que danser ou chanter. Et si ça invite, le plus souvent, c’est pour tendre le micro à des gens qui n’ont rien à dire, rien à partager. Pérorant sur des sujets non maitrisés, tenant des propos offensants, contraires à nos bonnes mœurs. Et s’adonnant à leur jeu favori : faire dans l’amalgame et la confusion. Pire, certains n’hésitent même plus à insulter en direct.
Comme ce fut le cas, lors de l’émission « Grand Plateau » de la Sentv du samedi 15 mars. Un des chroniqueurs de cette chaine a traité les patriotes (les partisans du Premier Ousmane Sonko) d’ « ânes ». Parce que vraisemblablement il n’a pas apprécié que l’on critique « une fausse photo » de sa mère circulant sur les réseaux sociaux avec des commentaires dégradants. Pour ce chroniqueur, pas de doute : ce sont les jeunes défenseurs du nouveau régime qui sont derrière cette photo. Comme s’il avait la certitude que ceux qui se sont moqués de sa maman étaient tous militants du parti Pastef. Peut-être que le jeune chroniqueur a la preuve de ce qu’il avance.
Mais se satisfaire de cet argument pour justifier la violence verbale envers toute une formation politique semble exagéré. Et le faire comme il l’a fait sur un plateau de télé, en direct, est encore plus condamnable. L’éminent professeur de télévision au Cesti, le regretté Alioune Touré Dia aimait rappeler avec insistance que la télé, c’est du sérieux. Un savoir. Un savoir-faire. Un savoir-être. Pour faire simple, de la tenue et de la retenue, des règles à observer, des comportements à avoir, de la discipline. Mais aussi et surtout du respect et de la considération pour les téléspectateurs. Tout le contraire de ce que l’on voit quand on allume aujourd’hui nos petits écrans. La parole est libérée, les éditions se multiplient et le pluralisme est réel mais peu de plateaux-télés sont rigoureux dans le respect des règles.
Le plus navrant, c’est l’indifférence dont font montre les journalistes-animateurs de débats. Peu trouvent utile de recadrer les invités bouffons. « Modère un peu tes propos », a simplement réagi du bout des lèvres la présentatrice de Sentv pour rappeler à l’ordre notre grand chroniqueur. Ailleurs, sur d’autres plateaux, on a même vu des présentateurs complices, distribuant des sourires, certainement pour encourager et approuver des propos regrettables. Inadmissibles. Intolérables. Et pourtant, notre pays avait bien fait les choses, en anticipant sur ces manquements et en mettant en place un organe de régulation : le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra). Mais problème : ce gendarme n’a aucune force de dissuasion. Parce que sans moyens. Dépouillé, fragilisé et chahuté par ceux qui sont censés le défendre.
Le résultat est implacable : règne absolu du désordre sur nos plateaux de télés où insulter et hurler est de plus en plus banal. Dans ce contexte, on ne peut que s’inquiéter de ce que devient la télévision, et plus largement, la liberté de la presse. Tiens, et si le Sénégal s’inspirait de ce qui se fait en France où l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), soutenue par le Conseil d’État, a décidé désormais de punir sévèrement les dérapages verbaux à l’antenne ? Première victime : C8 qui s’est vue retirer son canal sur la Tnt principalement à cause des manquements répétés de son animateur vedette Cyril Hanouna dans son émission « Touche pas à mon poste ».
Sanction lourde, excessive, convenons-en, et le Sénégal, vitrine démocratique en Afrique, n’ira pas jusque-là. Mais il est clair qu’on ne peut plus faire comme si de rien n’était. Chez nous aussi, il nous faut prendre des mesures. Des sanctions au besoin. Parce que le mal est profond, l’enjeu énorme, les implications insoupçonnées. Et le constat du directeur du Cesti, mercredi soir, sur la Rts, rend encore plus complexe la situation.
« Le phénomène des chroniqueurs est dû à un manque de programme des médias », dit Mamadou Ndiaye. Œil d’un expert qui nous fait savoir que ces « maitres du verbe » font désormais parti du décor. Incontournables. Difficilement remplaçables. Alors, redonnons force et moyens à notre Cnra pour faire respecter les règles et protéger la liberté d’expression qui, on l’oublie souvent, est encadrée par la loi. abdoulaye.diallo@lesoleil.sn