Avec « L’autre raison », Nourou Wone semble avoir transcendé notre monde turbulent pour l’observer, à la loupe, avec les minuties d’un dialecticien et d’un médecin légiste. Ce roman est une fluoroscopie sociale d’une bonne précision. Malgré sa prose d’apparence affirmative, le primo-écrivain pose des questions qui interpellent chaque citoyen, chaque internaute, pour une refondation humaine.
Que peut être la valeur d’un livre 50 ans ou un siècle après sa parution ? Renseignera-t-il assez sur son époque et ses contemporains tout en jetant des perspectives qui auront esquissé l’à-venir ? Enfin, les mêmes interrogations qui ont guidé Georges Orwell pour son chef-d’œuvre « 1984 »… Ces questions, de plus en plus méprisées dans le paysage littéraire, Nourou Wone semble se les être constamment posées en écrivant son tout premier livre. « L’autre raison » est un manifeste philosophico-social de nos habitudes sur les réseaux sociaux et de nos rapports humains, en quête d’humanisme. Paru ce mois de septembre 2025, au Baobab Édition, le roman de 215 pages présente une vue dépouillée sur notre société nouvelle, à l’aune de nos rapports virtuels. Le roman tient d’ailleurs sa source d’un post de l’auteur Nourou Wone sur son profil Facebook, titré « Nous, connexion… », publié en mai 2019. Une partie de ce post constitue le prologue du livre. « L’autre raison » met en évidence les empreintes affolantes qui ont fini de faire de l’espace social virtuel un monde de névrosés. Le roman présente l’histoire de Alpha, un bourgeois qui menait sa vie sans vagues inquiétantes. Ce, jusqu’à ce qu’il accepte sur Facebook la demande d’ajout d’un profil féminin appétent. Homme bien éduqué, bienséant, brave garçon, humaniste et altruiste, il manquait tout de l’expérience sociale qui allait le sensibiliser aux valeurs réelles de ces vertus. Il est de ces individus au destin tracé, à l’avenir prévu. Alpha, produit d’une école académique et réglée, se retrouve confronté aux nuances de la vie et prend connaissance des autres raisons qui la régissent au quotidien, en poussant la relation avec Daisy.
Fragilité
« Les réseaux sociaux ont bouleversé les dynamiques sociales et culturelles en unifiant des mondes qui, autrefois, restaient séparés par des filtres naturels », écrit Nourou Wone. Cette observation concerne la prise de conscience de Alpha, autant qu’il soulève une réflexion fort à-propos. « L’autre raison » est classé roman. Gagnant surtout ses propriétés romanesques avec le destin alambiqué de Oumou et de sa connexion avec Alpha. Mais le livre a tout de même les grands traits d’un essai. L’auteur empile les réflexions sur plusieurs thèmes qui inquiètent actuellement la société, en apparence comme de moindre évidence. Nourou Wone expose ses enrichissants points sur le sens des ressources humaines, du mariage et des liens affectifs, de la pratique religieuse, et de notre Éducation nationale qui enseigne plus qu’il n’éduque. Nourou Wone passe aussi sous sa loupe le trafic urbain sauvage et désorganisé, l’urbanisation impertinente qui engorge plus qu’elle ne règle l’encombrement, ce pays où on confond urgence et empressement, où on ne savoure plus mais gobe systématiquement les plaisirs de la vie.
Où les gens se croisent mais ne se rencontrent presque plus. Nourou Wone médite aussi sur la période Covid-19, qui occupe une bonne part de sa trame. Il rappelle un avènement qui a ébranlé les certitudes de l’Homme, mais a épanoui la nature. Une pandémie qui a révélé brutalement que la fragilité n’est pas une faiblesse. N. Wone rejoint ainsi le cœur du questionnement et thème central de l’artiste visuel Abdoulaye Diallo alias Le Berger de l’île de Ngor, « Quelle humanité pour demain ? ». Une réflexion qui recommande aux humains de se mettre humblement en face de leurs défaillances actuelles et se projeter vers une humanité plus juste, plus sage et mieux ancrée dans sa noble mémoire. Cela, en ne perdant pas de vue que l’humanité, dans son ensemble, comporte d’autres vies toutes aussi sacrées (végétales, animales, etc.). Le long des 31 chapitres que comporte « L’autre raison », Nourou a traversé l’œuvre presque autant que Alpha. Le lecteur le sentant quelquefois « prêcheur », peut-être plus que d’une certaine raison. Mais ça, c’est le résultat quand on a trop attendu pour écrire/publier. L’auteur a été comme dans le besoin d’exprimer la palette de sa science, ou tout du moins de présenter une œuvre fondatrice qui fait profession de foi d’auteur. Partageant souvent ses points de vue sur son profil Facebook, Nourou Wone a déjà prouvé son talent, son sens de l’examen, sa grande culture, ainsi que son intelligence des situations et son sens de la mesure. Cela se traduit, sans doute par l’éloge de la bonne éducation, des vertus cardinales, mais qui doivent cependant se combiner aux expériences de la vie qui endurcissent l’esprit et la carapace.
Vérité et sagesse
Sans cependant être alarmiste, Nourou Wone décrit la réalité des mutations sociales en invitant à agir, ou au moins à se (re)considérer. Dans la vérité et la sagesse. Cependant, il se retient toujours de porter un jugement. Mieux, il ne suggère quasiment pas. « L’autre raison » est telle une confidence. Il dit, il contribue. Pas en affirmant simplement ou en martelant son propos, mais en suscitant la pensée. Comme quand il dit : « Imaginez si on investissait autant dans notre culture que dans nos infrastructures. Ce serait une révolution ! ». Peut-être aussi que cette modération a coûté le descriptif dans l’intimité des personnages, manquant de « créer » une familiarité plus soutenue avec eux et leur environnement.
Les personnages restent toutefois des modèles de nous : Alpha un humaniste idéaliste et minutieux, Binta un symbole d’équilibre, Oumou remarquable de résilience et visage de nos bénignes schizophrénies, Ciré mannequin d’une jeunesse qui invente sa survie, Lamine de l’élite victime de ses privilèges et transgressions, Mbissane et Garmi nobles dans le sacrifice et la dignité, etc. En effet, Nourou nous parle. L’auteur nous parle dans un style sobre et vite compris, une écriture aérée, séquencée. Il donne au lecteur le temps de balancer entre la fiction et de plonger dans la franche réalité. Pour ne ni trop l’inquiéter ni trop le distraire. Il marque pareillement l’équilibre dans l’exposé, en ne houspillant pas les réseaux sociaux. Même si Facebook peut être un vilain panier à crabes ou un miroir des travers humains, Nourou Wone demeure convaincu que « certaines rencontres virtuelles peuvent être une ancre invisible mais essentielle ». Tout est ainsi dans la connexion !
Par Mamadou Oumar KAMARA