Dans un monde où la crise écologique devient chaque jour plus pressante, l’exposition « Educ’art : l’art au service de l’éducation et de la citoyenneté » se dresse comme une révolte créative. Quatorze artistes plasticiens de la Casamance unissent leurs talents pour interroger notre rapport à la nature et aux déchets, transformant des matériaux oubliés en œuvres porteuses d’espoir et de réflexion.
Le monde, en proie à une crise, vacille sous le fardeau de ses excès. La terre, étouffée, manque d’air pur, tandis que les océans, grands témoins des dérives humaines, grondent dans un silence de plus en plus oppressant. Partout, les déchets plastiques se répandent, menaçant l’équilibre fragile de notre environnement, et participent activement à la pollution et au dérèglement climatique. C’est au cœur de ce tourbillon de problématiques qui semble ne jamais se dissiper, qu’émerge une exposition environnementale, éclatante, telle une révolte viscérale : « Educ’art : l’art au service de l’éducation et de la citoyenneté ».
La résurrection
Cette exposition collective s’élève comme un cri de ralliement à la conscience universelle, où l’esthétique s’entrelace avec l’urgence, et où l’art se fait le porte-étendard d’une responsabilité partagée. Elle réunit quatorze artistes plasticiens venus de la verdoyante Casamance, dont les créations, nourries par la terre et l’âme de cette région, portent l’empreinte d’une urgence écologique palpable. Initiée par l’association « Janvi’art art » de Ziguinchor et soutenue par la Délégation générale Wallonie-Bruxelles au Sénégal, cette exposition prend place dans ce même cadre accueillant, à l’occasion de la fête de la Francophonie. Sur le thème évocateur « Je m’éduque, donc j’agis », cette édition souligne le rôle primordial de l’éducation dans la formation de citoyens éclairés et engagés, prêts à affronter les défis environnementaux de notre époque.
L’exposition est bien plus qu’un simple rassemblement d’œuvres. Elle est une invocation à la transformation, un manifeste où l’art ne se contente pas de refléter la réalité, mais de la réécrire et de la réparer. En pénétrant la salle, il est fascinant, ce phénomène de résurrection. La matière abandonnée, les déchets ignorés, retrouvés, réarrangés, transcendés, deviennent le cœur de l’exposition. Loin d’être de simples matériaux usés, ces débris sont des vestiges d’un monde en perdition, dont les artistes plasticiens réclament la renaissance.
Plastiques écrasés, métaux corrodés, papiers froissés, bois fossilisés par le temps, entre autres. Ces objets, qui semblaient relégués à l’oubli, sont réinjectés dans le flux créatif, là où la destruction cède le pas à la résurrection, laquelle est incarnée parfaitement par Djibril Goudiaby, au langage métaphorique et sacré. Il nous invite à plonger dans un monde où la frontière entre la vie et la mort se dissout dans l’alchimie de la création. À travers ses œuvres, il dévoile une poésie visuelle qui interroge, éveille et bouscule les consciences.
Parmi ses créations les plus poignantes, l’œuvre intitulée « Morts-vivants » incarne un oxymore fulgurant, un paradoxe vivant qui résonne comme un appel à réfléchir, à remettre en question notre rapport à la vie, à la mort, et à notre environnement.
Une narration visuelle de la résurrection
« Cette œuvre, c’est une interrogation par rapport à la mort, mais également par rapport à la vie », explique l’artiste. Ici, la matière qu’il a choisie « (bois mort) prend une dimension profondément symbolique. Le bois, mort en apparence, est pour M. Goudiaby une matière à réanimer, une matière à ressusciter. « On dit mort, donc en référence avec la matière que j’ai utilisée, qui est du bois mort. Le bois qui est mort, moi, en tant qu’artiste, je lui ai redonné une autre vie », poursuit-il.
Mais au-delà de cette métamorphose poétique, « Morts-vivants » est un cri silencieux face à l’agression que subit notre environnement. « C’est un appel par rapport à cette menace, ou disons à l’agression que nous sommes en train de subir vis-à-vis de l’environnement », souligne l’artiste. Cette agression, justement, est au cœur de la réflexion de Abdoulaye Mané, un artiste qui inscrit son travail dans une démarche de réhabilitation des déchets plastiques. Un geste artistique où chaque morceau de plastique, autrefois voué à la décharge, trouve une nouvelle vie sous les mains du créateur. Son travail, comme acte salvateur face à la pollution qui envahit nos rues et nos consciences, se résume à travers son jeu de mots : « Environ-mental ». « Je recycle tout ce qui est plastique et j’essaie de le valoriser pour redonner une autre vie », confie l’artiste, qui, par ses mains habiles, cherche à transcender la matière pour offrir une réflexion essentielle sur le réchauffement climatique et les dangers du plastique. C’est avec des techniques mixtes, mêlant collage, couture et brûlage, que Abdoulaye nous invite à découvrir le plastique sous une autre facette, celle de l’art.
Repenser l’Afrique à travers l’art
Mais derrière cette démarche technique, se cache un message de prévention et de sensibilisation, une alerte aux dangers d’un matériau omniprésent, mais mal compris : « Aujourd’hui, souvent, la population ignore le danger du plastique ». En réutilisant ce qui semble obsolète, l’artiste nous pousse à réfléchir à notre propre responsabilité envers notre planète, tout en offrant une seconde vie à ce qui était voué à disparaître, une disparition qui fait écho aux réalités ignorées et minimisées par Joachim Bassène. Ce dernier nous invite à regarder ces réalités de près, en dressant un constat saisissant de la fuite des jeunes africains, en quête d’un avenir meilleur en Europe, notamment dans son œuvre intitulée « Espagne ». « Peut-être c’est ceux qui sont à la tête de l’Afrique qui gèrent mal les choses », déclare-t-il avec une lucidité frappante, dénonçant l’absurdité d’une Afrique riche en ressources, mais accablée par une gestion « défaillante ».
En recyclant des objets comme des culottes usées, des plastiques, des tissus, M. Bassène nous incite à revoir notre perception de l’Afrique, non plus comme un continent démuni, mais comme une terre pleine de potentialités inexploitées. Sa technique mixte et inventive incarne cette volonté de redonner vie à ce qui est rejeté. « C’est comme pour ressusciter les objets, les vêtements, tout ce que les gens croient que ça ne vaut rien. Moi, je trouve que c’est utile », affirme l’artiste. Par la fusion de la peinture, du bois et du plastique découpé, il crée une harmonie nouvelle, une forme d’alchimie qui transforme l’ordinaire en un moyen d’expression puissant. Il intègre aussi des textes dans ses œuvres, permettant aux non-initiés, à la lecture des tableaux, de saisir le message profond qu’il véhicule. À travers ses créations, Bassène appelle à un réveil des consciences, en nous confrontant à l’émigration clandestine, à la mauvaise gestion des ressources et à la nécessité de rétablir un cycle sain de réutilisation et de réflexion. Un cycle que chaque artiste dans l’exposition, à sa manière, s’efforce de régénérer pour un monde plus juste.
Par Adama NDIAYE