Être féministe, une vraie réalité contemporaine signée Simone de Beauvoir avec son livre « Le Deuxième sexe». Elle devient la référence de bon nombre de femmes à travers le monde. Mais en Afrique subsaharienne, le prêche de Léonora Miano ne peut rivaliser avec l’histoire des femmes déjà émancipées et détentrices d’un pouvoir exceptionnel. Comme un archéologue rompu à la tâche, cette écrivaine franco-camerounaise dépoussière les vestiges des Subsahariennes qui ont marqué l’histoire de l’Afrique dans sa diversité singulière.
L’œuvre littéraire de Léonora Miano est portée par une démarche scientifique s’appuyant sur l’historiographie. La considérer comme une archéologue revient à voir ses recherches remarquables sur l’Histoire de l’Afrique subsaharienne pré-coloniale, d’où « La Saison de l’ombre » (2013), une fiction de la capture, de la destruction et de la reconstruction des Africains pendant la traite négrière inspirée des données historiques de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco). Il s’agit d’une recherche centrée sur des femmes dont les noms sont restés dans les chants populaires de leur société.
Des « femmes de pouvoirs » à l’instar de Tassi Hangbe, la reine fondatrice de l’armée des amazones, et Saraounia Mango, « la panthère noire » qui s’est acharnée sur les envahisseurs blancs, aux femmes incarnant une force collective comme les meneuses de la « révolte féminine » au Nigéria en 1929, en passant par le sacrifice des femmes de Nder devant la crainte de la servitude, « L’autre langue des femmes » de Léonora Miano est un voyage dans les contrées lointaines de l’Afrique subsaharienne du Moyen Âge aux Temps Modernes. Elle retrace l’histoire de celles qui ont su se distinguer à travers leur combat pour la liberté et la dignité de leur peuple.
Chacune d’elles apporte quelque chose à « l’autre langue des femmes ». « Par ces mots, il faut entendre une voix active, celle de femmes ne se définissant pas à travers l’action négative d’autres sur elles, et n’attendant pas d’avoir des modèles pour inventer leur vie » écrit-elle dans ce livre. L’autre langue des femmes serait ainsi, une appréciation, un discours, une voix féminine sur leur vécu particulier en tant que femme de pouvoir, spirituelle ou femme au foyer incarnant des valeurs humaines universelles imprimant leurs noms dans les couloirs de l’histoire du monde.
L’autre langue des femmes serait aussi la participation des femmes subsahariennes dans la construction d’une mémoire universelle féminine, d’où l’adoption du terme « matrimoine ». C’est-à-dire la part que les subsahariennes apportent à l’histoire des femmes du monde. Une conscience et une reconquête de soi Elle « émane ainsi d’une conscience de soi », raison pour laquelle l’écrivaine suggère une « reconquête de soi » que les Africaines devraient faire afin d’asseoir leur influence dans la marche actuelle du monde. Il s’agit d’une réappropriation de leur histoire et des valeurs africaines authentiques.
Cependant, il est nécessaire de souligner certaines révélations de Léonora Miano concernant les souveraines telles que Njinga, Amina Zaria, Efunsetan Aniwura, Ebla Awad dite Araweelo, entre autres figures controversées que les féministes érigent en référence absolue, ont une histoire paradoxale en tant que femmes ayant exercé autant de mal à d’autres femmes. Si la fureur de Njinga n’épargnait pas les femmes enceintes, celle d’Eunsetan orientée exclusivement vers les hommes profère à la femme un semblant de bonheur exempte de domination masculine. Leur point de ressemblance réside seulement sur leur haine commune des hommes qu’elles jugent être la cause de tous les problèmes, et l’imitation de ces derniers à faire de la femme leur objet, leur bien. « L’autre langue doit pouvoir dire que le goût pour le pouvoir n’est pas plus noble lorsqu’une femme en est affligée.
L’exercice de la violence, quand il n’est pas défensif, n’est pas plus vertueux lorsqu’il est le fait d’une femme » d’après ses analyses aux dérives de ces figures. Par ailleurs, dans « L’autre langue des femmes », c’est le combat des femmes universitaires et de leurs recherches qui sont valorisées. Les universitaires subsahariennes qui, dès le début, ont fustigé le caractère du féminisme occidental à s’imposer comme une forme de domination, un médium du colonialisme. Il feint la différence des priorités et des réalités intrinsèques aux Africaines.
D’ailleurs, elle rappelle le colloque « La civilisation de la femme dans la société africaine » organisé par la Société africaine de culture en 1972, durant lequel des Africaines ont campé le débat que pose le concept à leur réalité sociale et historique. À travers ses réflexions sur le féminisme et les aïeules qui ont marqué leur époque, se notent des recherches d’universitaires comme Awa Thiam, Fatou Sow, Fabienne Le Houérou, Linda Heywood et l’expression « Africana Womanism » (une autre alternative du féminisme) de Clenora Hudson-Weems. Miano met en exergue le paradoxe du terme « féminisme » à la réalité de la femme subsaharienne.
Féministe avant la lettre Pour elle : « Il est la réponse apportée par les femmes d’un lieu précis aux questions qui se posaient à elles, se présentant principalement comme victimes de la domination masculine, forgeant une ontologie féminine et victimaire ». Toutes les définitions qu’elle donne du féminisme révèlent qu’en Afrique les femmes étaient des « féministes avant la lettre » et cela depuis le Moyen Âge. Les droits des femmes étaient scrupuleusement respectés avant la traite négrière et la colonisation, qu’importe leur statut social.
Le bouleversement que ces deux événements ont opéré dans les sociétés africaines a fait perdre aux femmes leur avantage et privilège d’alors. Parce que « Sur notre continent, les femmes furent tout ce qu’un humain peut envisager d’être. Elles furent lumière ou ombre, quelques fois les deux. Sans elles, il n’y a tout simplement pas d’Histoire » conclut-elle. C’est pourquoi, le féminisme africain qu’elle prône est une reconnaissance des figures féminines dans l’histoire du monde.
Ce féminisme ne fait pas état d’un combat d’égalité entre l’homme et la femme comme le clament certaines féministes, parce que les femmes africaines avaient des droits et jouissaient d’un pouvoir. « Le féminisme dit africain formule l’exigence d’une reconnaissance de l’apport et de la place des femmes dans la société, sans faire appel à la notion d’égalité » a-t-elle précisé. À chaque fois que Léonora Miano emploie le mot « égalité », elle dévoile qu’il n’a pas sa raison d’exister dans les combats que mène toute femme pour obtenir ses droits.
Aïda GUÈYE