Les rues de Mbacké vibrent d’une énergie rare. Les voix s’élèvent et s’entremêlent dans un Zikroulah hypnotique, et chaque ruelle est traversée par des vagues de disciples venus de tous horizons. L’air porte à la fois l’odeur du café Touba fraîchement torréfié, des encens qui se consument dans les foyers, et celle du cuir tanné que l’on devine sur les habits et les accessoires.
Durant le Magal, la cité devient une scène ouverte où la foi se vit au grand jour, dans les gestes comme dans les regards.
Parmi la foule, les Baay Faal sont reconnaissables entre mille. Leurs habits colorés, leurs pas assurés et leurs visages habités reflètent une dévotion qui se lit aussi dans les objets qu’ils portent. Chaque accessoire est un fragment d’histoire, un symbole vivant et un outil de service. Rien n’est porté par hasard.
Le « Lakhassay » ou « Derr » : Ceinture de service et d’endurance
Large, robuste, le « Lakhassay » entoure la taille comme un cercle d’engagement. Fabriqué en cuir ou en tissu épais, il peut être sobre ou orné de motifs cousus à la main.
« Quand je l’attache, c’est comme si je signais un contrat avec moi-même », confie Cheikh Faye, disciple d’une trentaine d’années, le regard déterminé.
Ceinture pratique, il soutient les reins pendant les travaux physiques, permet de suspendre outils et ustensiles, et devient un symbole de disponibilité constante pour la communauté.
Les plus anciens racontent que Cheikh Ibrahima Fall lui-même ne s’en séparait jamais : « On enlève le Lakhassay seulement à la mort », précise Maam Mbaye Lo, chercheur Baay Faal.
Certains y cachent aujourd’hui des versets pliés avec soin, d’autres une petite fiole d’encens. Le cuir, imprégné de sueur et de poussière, porte les marques de chaque service rendu.
Les pendentifs : L’effigie qui guide
Accrochés au cou, parfois sous la tunique, parfois bien visibles sur la poitrine, les pendentifs représentent le guide spirituel. L’image est souvent protégée par une petite vitrine en toile, un cadre en métal ou une pochette en plastique finement décorée.
« C’est ma carte d’identité spirituelle », explique Modou Guèye, tout en effleurant du doigt la photo qu’il garde contre lui depuis dix ans.
Pour beaucoup, ce n’est pas qu’un signe d’appartenance, mais une présence rassurante. « Quand je suis loin de ma maison ou de mon guide, je sens toujours son regard sur moi », ajoute-t-il.
Les pendentifs créent une reconnaissance instantanée entre disciples, comme un langage muet qui traverse la foule. Certains sont hérités d’un père ou d’un grand-père, et se transmettent comme des reliques familiales.
« Ndombo Baat » : Le collier qui protège l’âme
Autour du cou, bien visible, le « Ndombo Baat » se distingue par sa simplicité et sa force symbolique. Ce collier épuré, en tissu solide, est porté fièrement par le disciple comme un signe d’appartenance et de protection spirituelle.
« Ce n’est pas pour l’ornement, c’est pour le lien », explique Moussa Lô, en le montrant avec un sourire discret.
Contrairement aux colliers décoratifs, il ne comporte pas de perles : sa valeur réside dans ce qu’il incarne plutôt que dans son apparence. Il est censé protéger celui qui le porte des épreuves, des mauvais sorts et des influences négatives. Certains y ajoutent un petit nœud ou un fil béni, chargé de prières.
Chaque « Ndombo Baat » est fabriqué avec intention et bénédiction, transformant cet objet simple en un véritable talisman visible, témoin constant de la foi et de l’engagement du Baay Faal.
« Ndombo Loxo » : La protection des gestes
À peine visibles, les « Ndombo Loxo » sont noués autour des bras, près des coudes ou des poignets. Ils sont eux aussi de petits cercles de cuir ou de tissu contenant des invocations, mais leur position a une signification précise.
« Chaque geste est une adoration quand il est fait pour servir », explique Serigne Pathé Gueye, ajustant le lien autour de son bras.
Dans la philosophie Baay Faal, la main est un outil sacré : elle construit, donne, soigne, nourrit. Porter ces protections, c’est bénir ses actions quotidiennes et rappeler que même le travail le plus humble a une valeur spirituelle.
Au marché ou en chantier, on voit parfois ces amulettes noircies par la poussière, preuve qu’elles accompagnent chaque mouvement.
« Tiowri » : Le fil des prières
Long collier, le « Tiowri » descend jusqu’au ventre et parfois plus bas. Le poids, la taille et la forme sont choisis.
« Chaque collier raconte une histoire », confie Maam Cheikh Mbow, artisan de Mbacké Niarry, qui en fabrique depuis quatre décennies.
Les Tiowri peuvent être transmis comme héritage ou fabriqués pour un événement précis, comme un engagement ou une promesse. Certains disciples y ajoutent des perles offertes par leur guide, renforçant la valeur sentimentale et spirituelle de l’objet.
Lorsqu’ils se balancent au rythme des pas dans le Zikroulah, on dirait qu’ils battent le tempo de la foi.

Le couteau : Outil du service
Glissé dans un étui accroché au Lakhassay, le couteau des Baay Faal est solide et toujours prêt.
« Ce n’est pas une arme, c’est un outil de travail », insiste Serigne Moustapha Faal Fallilou Ibn Serigne Modou Aminta Fall.
Il sert à trancher les légumes pour les repas, réparer une corde, tailler un piquet…
Il devient indispensable dans l’organisation des cuisines collectives et l’entretien des lieux.
Le couteau, comme tous les accessoires Baay Faal, n’a de valeur que par l’usage qu’on en fait au service d’autrui.
La serviette : Geste de respect
Toujours sur l’épaule ou pliée dans la main, la serviette est l’alliée discrète du disciple.
« Elle me sert à me présenter propre devant mon guide », explique Serigne Mamour Ndao en essuyant son front perlé de sueur.
Elle peut protéger la tête du soleil, servir de gant pour manipuler un plat chaud, ou essuyer les mains avant de tendre quelque chose à quelqu’un.
Dans le tumulte du Magal, on les voit chez tout le monde, preuve que la propreté et le respect ne se limitent pas aux paroles.
Baye Ndongo FALL