Publié en 2025 aux éditions Baobab, « Fespaco Par-delà les écrans » est un livre signé par le journaliste et critique cinématographique à l’Agence de presse sénégalaise (Aps) Aboubacar Demba Cissokho. C’est un récit-mémoire, une chronique vivante et sensible. Témoin privilégié du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou depuis plus de deux décennies, l’auteur restitue une expérience intime et professionnelle, tout en offrant une réflexion sur la place et l’évolution de ce rendez-vous majeur du cinéma africain.
Aboubacar Demba Cissokho découvre le Fespaco en 2003, dépêché par l’Agence de presse sénégalaise. Depuis, il n’a cessé de couvrir l’événement, édition après édition, jusqu’à accumuler une mémoire riche en anecdotes, rencontres, observations et réflexions. Cette fidélité lui donne une perspective rare, car il peut mesurer les transformations du festival, ses continuités comme ses ruptures. Son ouvrage « Fespaco Par-delà les écrans » fonctionne comme un carnet de route étendu.
Il y déploie souvenirs, notes de terrain, portraits, analyses, tout en préservant la fraîcheur de l’expérience vécue. Dans les pages du livre, on respire l’immersion, celle d’un professionnel en mission, mais aussi d’un passionné pour qui le cinéma africain est une cause et un patrimoine à défendre. L’ouvrage donne accès à un festival tel qu’on le vit sur place, au-delà des projections et des cérémonies. L’auteur nous promène dans les rues de Ouagadougou, dans ses lieux emblématiques.
On y sent la chaleur des journées, les nuits animées par les débats et les fêtes, l’énergie collective qui envahit la ville tous les deux ans. Le livre met en valeur ce bouillonnement social, culturel et artistique qui dépasse largement les salles de projection. Le Fespaco est aussi une scène politique, un lieu de rencontres transcontinentales et un miroir des préoccupations africaines. Images Dans « Fespaco Par-delà les écrans », les photographies occupent une place de choix et constituent un véritable prolongement narratif au texte d’Aboubacar Demba Cissokho.
Elles témoignent, capturent et transmettent l’énergie particulière du Fespaco telle que l’auteur l’a vécue au fil de ses nombreuses participations. On y découvre des scènes de rues vibrantes de vie, où Ouagadougou devient, le temps du festival, une immense scène à ciel ouvert. Les clichés saisissent des regards, des sourires, des gestes spontanés, mais aussi des moments solennels : cérémonies d’ouverture et de clôture, remises de prix, hommages à des figures emblématiques du cinéma africain.
Certaines images isolent des visages, révélant l’intensité d’un discours, la concentration d’un réalisateur en conférence, ou l’émotion d’un comédien acclamé par la foule. D’autres montrent la convivialité des coulisses, les échanges fraternels entre artistes, critiques, techniciens et spectateurs. Ensemble, ces photographies construisent une mémoire visuelle qui complète et enrichit la mémoire écrite. Elles font revivre les couleurs, la lumière, la chaleur humaine et l’âme du Fespaco, offrant au lecteur la sensation d’assister à un album vivant, à mi-chemin entre carnet de voyage et chronique culturelle. Rencontres et figures du cinéma africain Au fil des pages, M. Cissokho convoque les visages et les voix qui ont marqué ses reportages.
Les grands noms du cinéma africain, de Sembène Ousmane à Souleymane Cissé, de Gaston Kaboré à Abderrahmane Sissako, croisent les nouvelles générations de cinéastes, porteurs de récits et d’esthétiques renouvelées. Ainsi, le livre restitue l’atmosphère des échanges, les instants de complicité, les entretiens improvisés dans les couloirs ou les cafés, les débats passionnés sur l’orientation du cinéma africain et la mission du festival. L’un des fils rouges de l’ouvrage est l’interrogation sur l’identité et l’évolution du Fespaco.
L’auteur rappelle que ce festival est né comme un espace de résistance culturelle, un lieu où le cinéma devait servir à raconter l’Afrique depuis l’Afrique, et pour les Africains. Avec le temps, les enjeux se sont diversifiés : ouverture à de nouvelles formes cinématographiques, intégration de coproductions internationales, débats sur les critères des jurys et l’attribution de l’Étalon de « Yennenga ». L’auteur aborde ces questions sans détour, conscient des tensions entre impératifs artistiques, considérations politiques et attentes du public.
Un regard de journaliste et de passeur Le livre est traversé par une conviction forte qui est celle de considérer que les Africains doivent raconter eux-mêmes leurs histoires et tenir la mémoire de leurs propres événements. M. Cissokho assume un rôle de témoin et de passeur. Il collecte, raconte, analyse et archive. Ses textes alternent entre reportage, chronique et essai, sans perdre en fluidité. L’écriture est précise, accessible, attentive aux détails et surtout sensible aux atmosphères.
Le lecteur y trouve à la fois la rigueur d’un compte rendu et la chaleur d’une expérience humaine. En compilant deux décennies de vie du « Fespaco Par-delà les écrans » devient un document précieux pour l’histoire du cinéma africain. Les affiches des éditions, les grandes tendances artistiques, les débats idéologiques, les figures marquantes…, tout est saisi dans un récit qui garde le souffle du direct. Ce qui rend ce livre singulier, c’est aussi sa capacité à faire exister Ouagadougou comme personnage. La ville, ses marchés, ses taxis, ses terrasses, ses habitants accueillants forment le décor permanent de l’aventure. On y perçoit la chaleur, les saveurs, les couleurs, et cette hospitalité qui transforme chaque séjour en expérience mémorable.
Avec « Fespaco Par-delà les écrans », Aboubacar Demba Cissokho laisse une trace durable. Il y a dans ce livre une volonté de partager, mais aussi d’enseigner comment couvrir un événement dans la durée, comment garder vivante la mémoire d’un espace culturel, comment conjuguer regard critique et respect des acteurs. C’est un hommage au Fespaco, à Ouagadougou, au cinéma africain, et à la nécessité « de raconter pour ne pas oublier ».
Par Amadou KÉBÉ